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de M. Jules Lemaitre. Et c’est pour nous détromper que Pater, dès l’année suivante, conçut le projet d’un nouveau roman où la même doctrine serait exposée en des termes plus clairs. Car Gaston de Latour ne date point, comme Weir of Hermiston, des derniers momens de la vie de son auteur. Des sept chapitres qui le composent, six ont paru dès 1889 dans le Macmillan’s Magazine et dans la Fortnightly Review. Ils devaient former la première partie d’un grand roman, dont Pater a lui-même, spontanément, interrompu un beau jour la publication. Et s’il n’a point cessé d’y travailler durant les années suivantes, comme en témoignent de nombreuses notes trouvées dans ses papiers, jamais du moins il ne semble avoir sérieusement pris à tâche de l’achever. Un découragement, sans doute, lui sera venu, qui l’aura fait renoncer à son beau projet. Se sera-t-il aperçu que ses contemporains étaient décidément trop difficiles à convaincre, et que sous cette nouvelle forme comme sous l’ancienne, sa véritable pensée risquait de leur échapper ? Ou bien est-ce l’œuvre elle-même qu’il aura jugée trop difficile à écrire ? Ses confidens, s’il en a eu, ne nous en ont rien dit. Et force nous est de nous tenir à des hypothèses, sur les motifs qui l’ont empêché de terminer un livre où il avait rêvé de mettre le plus profond de son cœur.


Le plan du livre se laisse d’ailleurs assez clairement deviner dans ces premiers chapitres, que vient de nous restituer un collègue de Pater, M. Charles Shadwell, fellow du collège d’Oriel, à l’Université d’Oxford. C’est, à peu de choses près, le même plan que celui de Marius l’Épicurien. Une fois de plus Pater a voulu raconter l’histoire d’un jeune homme, intelligent et oisif, qui, après avoir fait le tour des doctrines artistiques, philosophiques, et morales de son temps, trouve enfin le repos dans un assentiment absolu au dogme chrétien. Mais pour nous rendre la leçon plus expressive, et pour nous rendre plus proche l’exemple de son héros, il a imaginé de faire de celui-ci non plus un Romain du temps de Marc-Aurèle, mais un gentilhomme français de la Renaissance, un élève de Ronsard, de Montaigne, et de Giordano Bruno. C’est à travers l’enseignement de ces maîtres que Gaston de Latour devait s’élever peu à peu à une vérité supérieure. Hélas ! l’œuvre s’est interrompue tout juste au moment où il allait s’y élever ; et tel qu’il nous apparaît dans ce fragment à jamais inachevé, le héros du roman n’est encore qu’un jeune dilettante, plus éloigné que Marius l’Épicurien lui-même de toute certitude comme de toute croyance !

Mais qu’il est aimable et touchant, avec (son scepticisme, et combien Pater a mis de soin à nous décrire la formation de cette jeune âme, parmi tant d’influences diverses et contraires ! Par la délicatesse