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C’est dans ces dispositions qu’à seize ans il quitta le château familial, pour servir en qualité de clerc dans la maison de l’évêque de Chartres. La plus belle des cathédrales gothiques remplaça pour lui la chambre mortuaire de Gabrielle de Latour. Elle l’enivra de son spectacle indéfiniment varié, et bientôt il n’y eut pas une de ses statues, ni une figure de ses vitraux qui n’évoquât dans l’âme du jeune clerc des rêves d’héroïsme ou de tendresse exaltée. Notre-Dame de Chartres fut d’abord sa seule confidente : elle seule le consola de la grossièreté et de l’inintelligence de ses camarades. « Ceux-ci l’étonnaient surtout par la manière dont, à leur insu, ils reproduisaient les divers aspects de la nature animale. Gaston retrouvait là le tigre et le perroquet, et le lièvre, et quelque chose du mouton, et quelque chose du singe… Et eux, de leur côté, ils ressentaient un certain effroi du pouvoir intellectuel de leur jeune compagnon. Devant ces âmes essentiellement réfléchies, qui ont l’air de ne pas dormir leurs nuits, il est rare que les autres âmes ne se mettent point sur leurs gardes… Plus tard, pourtant, quand il lui arrivait de penser à ses camarades de Chartres, Gaston se prenait parfois à avoir un peu honte du mépris qu’ils lui avaient inspiré. La plupart d’entre eux étaient morts avant lui ; et il les revoyait mêlés aux grands crimes, aux sombres tragédies de son temps, comme de minces fils s’entre-croisant, çà et là, dans une tapisserie. Et Gaston se les représentait poursuivant à travers la vie leurs jeux, leurs luttes, leurs vaines et absorbantes agitations d’enfans. »


A leur contact, et à celui de ses maîtres, l’ardent enthousiasme religieux de l’enfant, peu à peu se calmait. Non que ces jeunes gens qu’il avait pour camarades fussent des incrédules, ni que les familiers de l’évêché affichassent ouvertement le mépris des choses saintes. Mais chez les uns et chez les autres il sentait une indifférence dont l’exemple était pire pour lui que celui d’une négation raisonnée et formelle. Il retrouvait cette indifférence jusque chez l’évêque, Mgr Guillard, qui devait, quelques années après, quitter son siège et renoncer volontairement au service de l’Église. Jusque dans la cathédrale, la beauté à présent le touchait plus que la foi. Et l’influence de ses lectures achevait de l’éloigner de Dieu : Vénus, Mars, Énée, tels qu’il les rencontrait dans Virgile, lui parlaient d’une religion plus élégante et plus poétique. Mais c’était Ronsard surtout qui l’enchantait, Ronsard dont un ami lui avait prêté les Odes, « lui ouvrant ainsi un monde nouveau, capable, lui semblait-il, d’offrir à son intelligence des plaisirs infinis, et cependant si étroitement lié au monde sensible et réel. »

Il goûtait, dans ces poèmes de Ronsard, « un charme tout spécial de modernité, ce charme qui se renouvelle d’âge en âge pour les jeunes esprits, et leur fait croire d’abord, en dépit des affirmations contraires