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M. Casimir Perier et par quelques-uns de ses parens. Il y avait, je crois, outre l’assurance d’une rente viagère après l’éducation terminée, pour le présent, cent louis, la table et le logement à gagner, mais il y avait la liberté à perdre ; n’était-ce pas un jeu de dupe ou de brute ? »

Auguste Comte a-t-il été pendant trois semaines le précepteur du fils de Casimir Perier ? Les mots que j’ai soulignés semblent le démontrer ; mais Valat, confiant dans son ami, avait le droit d’affirmer le contraire. Comte ne veut ni mentir, ni se taire, ni dire la vérité.

Saint-Simon fut admiré par Auguste Comte, et, pendant sept années, de 1818 à 1825, exerça sur lui une influence considérable. Comte lui proposa sa collaboration dans une lettre anonyme qui se terminait ainsi : « J’aurai l’honneur de vous envoyer prochainement un article sur l’économie politique. Heureux si mes forces et ma position me permettaient de me livrer à des recherches aussi attrayantes et de suivre dans toute son étendue le travail dont je vous ai tracé l’aperçu. Je me ferai connaître en vous adressant l’article. »

L’article fut agréé. Comte se fit connaître ; il plut à Saint-Simon, qui se l’attacha en qualité d’élève ? de secrétaire ? de collaborateur ? Le titre ne fut pas discuté, mais il serait ridicule de supposer, comme on l’a affirmé, que ce fût en qualité de maître… Comte recevait trois cents francs par mois, payés tous les dix jours ; il se trouvait très riche. Il y avait pris goût. Malheureusement, cela ne dura pas. « Le père Simon, écrit-il à Valat, malgré sa bonne volonté, et malgré qu’il fût très content de moi, a éprouvé des revers tels que le pot-au-feu en a diablement souffert ; j’ai conservé avec cet excellent homme des relations d’amitié et même de travail, et quoique ce soit gratuitement, je suis bien sûr que, s’il parvient à se tirer un peu de la crise pécuniaire terrible où il se trouve, je n’aurai rien perdu pour attendre. »

Comte prévoyait juste. Saint-Simon vivait de quêtes, et partageait avec son jeune ami, qui se trouva ainsi, au début comme à la fin de sa carrière, entretenu et nourri par des dons gratuits. Dans une lettre écrite à Valat, Comte dit à son ami : « Tu désires que je te fasse connaître M. Saint-Simon, très volontiers. C’est le plus excellent homme que je connaisse ; il est chéri de tous ceux qui le connaissent particulièrement… c’est l’homme le plus estimable et le plus aimable que j’aie connu de ma vie… Je lui ai voué une amitié éternelle, en revanche, il m’aime comme si j’étais son fils. »

Cette amitié éternelle dura trois ans. Sans se séparer aussi