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visiter les « dégoûtantes beautés » des galeries de bois du Palais-Royal. C’est là qu’il rencontra la fille Massin, inscrite sur les registres de la police. Comte la suivit chez elle, et la visita pendant plusieurs mois. Par un funeste hasard, il la retrouva dirigeant un cabinet de lecture, que son protecteur Cerclet lui avait acheté ; elle pria Comte de lui donner des leçons de tenue de livres et pour mieux les prendre, pour les payer peut-être, elle alla demeurer chez lui. Après un an de vie en commun, et la connaissant bien, Comte se décida à l’épouser. Il en instruit Valat en ces termes : « Je te dirai en gros que je suis sur le point de me marier avec une jeune personne très spirituelle dont les capitaux sont exactement équivalens aux miens. » S’il ne ment pas cette fois, sa confidence intime ressemble peu à la vérité. Le mariage se fit malgré la famille de Comte, dont les préjugés s’y opposaient. Mme Comte continua sa vie licencieuse, à peine interrompue par son mariage. Pour qui connaissait son « éducation exceptionnelle », il était aisé de le prévoir ; il le serait moins d’expliquer la conduite de Comte. Ses camarades de l’Ecole polytechnique, sans être prophètes, l’avaient surnommé Sganarelle. Les griefs n’avaient rien d’imaginaire. Mme Comte disparaissait sans le moindre prétexte, pour s’installer pendant quelques semaines dans un hôtel garni. Telles étaient « ses escapades secondaires ». Comte était assez bon, c’est ainsi qu’il se juge, pour solliciter un retour dédaigneusement octroyé. Malgré les apparences, cette fausse positiviste manquait d’altruisme ; c’est le grave reproche que son époux lui adresse. « Jamais, dans ses écarts de conduite, elle n’a éprouvé d’affection sincère : elle a beaucoup d’esprit, ajoute Comte, mais elle s’en sert pour justifier ses inclinations vicieuses et s’insurger contre toute morale. Sa nature est révolutionnaire. »

Littré, qui a su tout cela, et plus encore, n’a jamais retiré à Mme Comte sa protection et ses sympathies ; il s’est brouillé pour elle avec celui qu’il nommait son maître ; il faut croire qu’elle avait beaucoup d’esprit. Les lettres de Comte à sa femme pendant ses tournées d’examinateur, de 1837 à 1845, sont inexplicables. L’une des escapades principales de Mme Comte est de 1838. Comte, en lui écrivant, se montre affectueux, confiant dans ses conseils, impatient de la revoir : s’il résiste à la tentation d’allonger sa route pour passer un jour avec elle à Paris, c’est par économie seulement. Littré, en publiant toutes ces lettres, a omis le récit qui les rend si étranges ; il laisse supposer que, lors de la séparation définitive, tous les torts étaient du côté du mari.

Comte, proposé par Navier, fut nommé, en 1832, répétiteur