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monstrueuse de deux égoïsmes l’un par l’autre, m’apparaît, du moins virtuellement, comme une sorte de crime de lèse-humanité.

Et c’est pourquoi j’ai conservé, du troisième acte du Partage, un souvenir vague sans doute, mais pénible. Tant que Louisette et Raymond souffraient seuls de leur abominable mal, j’ai pu m’intéresser à eux, parce qu’ils souffraient. Mais, du moment que l’innocent Rougier souffre à son tour, je me détache d’eux avec facilité. Louisette est malade depuis huit jours, elle est toute proche de la mort, et le joli garçon paresseux et quelconque, à qui sa chair agonisante dut, paraît-il, d’inimitables secousses, continue seul d’exister pour elle. Et quand son mari a fait l’effort de la revoir et de lui pardonner, le premier mot de la mourante est pour réclamer son amant. Son mari le laisse entrer, et elle meurt en le regardant. Et cela m’est égal, ou à peu près. Je n’ai plus pour elle et pour celui qu’elle a dans le sang, — dans ce sang qui l’étouffe et qui tout à l’heure se décomposera, — qu’une pitié sans affection, cette pitié générale qu’on éprouve devant toute douleur humaine, quelles qu’en soient les causes. Et j’oserai presque insinuer que Rougier a manqué une belle occasion de n’être pas sublime et de ne pas obéir à la manie pardonnante des maris de théâtre de ces dernières années.

N’importe, et mes résistances (car je ne veux pas dire mes critiques), — qu’elles soient celles d’un homme marqué du pli chrétien ou d’un honnête citoyen préoccupé d’intérêt social, — impliquent elles-mêmes cet aveu, que le Partage est un assez puissant drame de chair, — en deux scènes ou trois.

Ce qui est autour de ces deux ou trois scènes me paraît, à cette distance, de moindre prix. Je revois, très loin, le couple des parens pauvres et envieux, qui avertissent le mari : deux « utilités », comme on dit, dont le drame se serait passé à la rigueur. Et je revois surtout Mme Talvande, la mère de Raymond…

La maternité de cette dame est étrangement morbide. En vérité, elle est jalouse de son fils précisément de la même manière que Louisette, et comme s’il s’agissait de la même espèce de « partage ». Auparavant, elle se faisait raconter par Raymond ses rencontres avec les « mauvaises femmes » et elle en pâlissait de douleur et de colère, bien qu’elles ne lui prissent rien de la pensée ni de l’affection de son fils. Elle en veut à Louisette, non point d’empêcher Raymond de travailler (car Mme Rougier, au contraire, a décidé son amant à accepter un emploi), non point de lui prendre son argent (car Mme Rougier est « désintéressée »), mais uniquement d’être sa maîtresse. C’est cette idée qui hante et supplicie Mme Talvande. Sa jalousie maternelle est, elle aussi, purement charnelle. De là, la démence de sa conduite, quand elle vient, d’abord, sommer Louisette de lui rendre Raymond, puis la