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neutre où ils pourront se donner la main pour la grandeur et la prospérité de la France (25 février 1849). » C’était la formule que Thiers a adoptée depuis : « La République est le gouvernement qui nous divise le moins. » A un banquet à l’Hôtel de Ville, il proteste « de son dévouement aux grands principes de notre révolution (3 mai). »

Les discours étaient l’unique moyen de révéler ses intentions futures, mais chaque jour il démontrait par des actes son ferme propos de sauvegarder la paix publique. Il eût voulu rendre évidentes de même ses sympathies populaires et ses dispositions libérales. Ses ministres ne le lui permirent pas. Ils refusèrent par trois fois de déposer une proposition d’amnistie générale. Ils taxèrent de socialistes ses projets de charité légale, ne lui concédèrent que la mise à l’étude de la création de colonies agricoles destinées à venir en aide aux classes laborieuses en ramenant les ouvriers des villes aux travaux de la campagne.

La liberté de l’enseignement fut la seule de ses idées personnelles dont il obtint la complète et immédiate réalisation. On a attribué exclusivement à Falloux le mérite de cette réforme fondamentale. Sans nul doute il l’a préparée avec l’assistance d’une commission extra-parlementaire[1], toutefois c’est le président qui, avant l’arrivée de Falloux aux affaires, l’avait annoncée et promise dans son manifeste de candidat ; c’est encore le président qui, après la retraite de Falloux, en a assuré le succès définitif. Ainsi un des premiers actes de pouvoir personnel du despote suscité pour l’extermination de nos libertés a été la promulgation d’une des plus essentielles libertés, vainement demandée jusque-là aux doctrinaires du parlementarisme !

Au surplus les dispositions des législateurs ne permettaient guère les réformes qui exigent de la liberté d’esprit. L’assemblée Constituante, depuis l’élection présidentielle se débattait, avant de s’affaisser, semblable à un taureau frappé à mort. Coup de corne à Changarnier, dont elle supprime le traitement. « Je les étrillerai gratis », répond le général. — Coup de corne contre Léon Faucher, dont elle blâme une dépêche imprudente, et Faucher donne sa démission. — Coup de corne à Drouyn de Lhuys, qu’elle accuse de l’avoir trompée. Drouyn de Lhuys fait semblant de n’avoir pas été touché. Enfin, à bout de fureur et de résistance elle consent à disparaître.

  1. Dans cette Commission, composée de vingt-quatre membres (4 janvier 1849), Falloux appela les rédacteurs en chef des journaux religieux, en excluant Louis Veuillot, c’est-à-dire l’écrivain supérieur qui, à lui seul, les valait tous. Une telle exclusion constituait une injustice et une offense que Louis Veuillot et ses amis ont eu le droit de ressentir.