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représentations diplomatiques l’intervention russe. Il ne se crut pas le droit de conserver la même impassibilité en Italie, où les événemens tournaient décidément au tragique.

Les révolutionnaires européens, pourchassés déjà des autres États, s’étaient donné rendez-vous en Piémont et avaient renforcé la secte mazzinienne. Leur but était de renverser Charles-Albert et d’établir une république en Piémont comme d’autres l’essayaient à Florence et à Home. Attentifs cependant à ne pas se laisser pénétrer, ils se contentaient de demander des réformes démocratiques, l’impôt progressif, etc., et surtout de provoquer la guerre de revanche. Dans les rues, dans les cercles, dans les journaux, à la tribune, ils déclamaient contre la médiation diplomatique : à aucun prix on ne pouvait sans déshonneur abandonner la Lombardie et la Vénétie. Dans la presse et à la tribune Cavour ne laissait aucun de leurs sophismes sans réfutation, aucune de leurs menaces sans résistance. On le huait, on le sifflait, sans abattre sa vaillance[1]. Il s’acheminait à la gloire par l’impopularité.

C’est à la popularité que Gioberti demandait de l’y conduire ; il flattait à outrance « les démagogues sans énergie et sans talent, qui croyaient bêtement qu’une nation peut reconquérir son indépendance et sa liberté avec des phrases et des proclamations[2]. » Il combattait sans répit les deux hommes de courage et détalent qui s’opposaient à ces insanités, Pinelli et Revel. Il acquit une popularité immense. Dans un voyage à Milan, à Bologne et à Home il recueillit des ovations telles qu’aucun grand homme ou prince n’en avait obtenu, à ce point que Pie IX et les princes italiens, quoique alors il conseillât le respect de leurs droits et l’entente avec eux, en avaient conçu quelque ombrage. Sa punition fut de succéder à ceux dont il avait rendu le gouvernement impossible (15 décembre 1848). Débutant par une maladresse conseillée par ses démagogues, il prononce une dissolution intempestive qui lui amène une Chambre ingouvernable, de laquelle Cavour est exclu (22 janvier 1849). Cependant il ne tarde pas à comprendre qu’à moins de livrer son roi, il est obligé de se séparer des braillards sur les épaules desquels il s’est élevé, et, à moins de trahir son pays, de différer la guerre à laquelle il a poussé. L’habitude italienne du temps était, le péril surmonté, de remercier l’Angleterre même quand on ne lui devait rien, dans les difficultés de caresser la France et de l’implorer. Ainsi fit Gioberti. Il envoya comme légat à Paris Arese, l’ami

  1. 28 novembre 1848. « Les murmures me troublent peu ou point : et ce que je pense c’est la vérité, je le dis malgré les tumultes et les sifflets. » Rumeurs.)
  2. Cavour, lettre du 26 avril 1849 (Collection Bert).