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la rumeur des machines. Pas un seul bruit de voix. Vous éprouvez la sensation de traverser un monde mystérieux, où s’accomplit d’elle-même une œuvre cyclopéenne. Maintenant les lumières nous abandonnent ; nous sommes plongés dans les ténèbres, et l’humidité nous transit. La voûte suinte sur nos têtes, et nous n’entendons plus que le clapotis de l’eau sous les sabots de la mule. Et tout à coup une vive blancheur, un diamant étincelle très loin devant nous : sa grosseur augmente ; il s’arrondit. On le prendrait pour un éblouissant fanal. Il nous en arrive un air frais que nos poumons respirent avec délices. Encore cent mètres, et nous touchons au seuil du tunnel. La merveille qui nous hypnotisait n’était que le jour.

Au sortir de ce boyau de nuit, nous trouvons un lit de torrent raviné, qui décrit une courbe et descend entre une chaîne de mamelons et une haute muraille de rocs, rayée de haut en bas par de larges bandes rouges. Çà et là s’érigent des cactus et croissent quelques touffes de bruyère, que paissent les lamas. Sur la berge du torrent la Compagnie a installé une étroite voie ferrée, où les wagonnets roulent seuls, tant la pente est raide. Nous prenons place dans l’un d’eux : notre ami Cornejo, qui a construit la ligne, saisit le frein du léger véhicule, et nous commençons à descendre. Bientôt nous filons avec une vitesse de quarante kilomètres à l’heure. Une pierre suffirait pour nous faire dérailler et nous précipiter au fond du ravin : moins encore, une simple maladresse de notre limonier, au milieu d’une courbe. Mais de tels accidens ne se produisent jamais. La Providence veille même sur les estomacs à jeun.

Nous dévalons ainsi dans une large vallée, où bondissent des troupes de lamas. Le lit d’un ruisseau la traverse, et nous stoppons devant un pont de bois. En face de nous se dresse à pic une chaîne de montagnes en porphyre et toute rouge. Là, on attelle une mule à notre wagon, car la ligne monte jusqu’à Huanchaca. Ce nom signifie « fumier » en langue indienne. Nous passons en effet devant d’immenses tourbières, noirâtres et moussues par endroit. Elles sont formées de détritus d’arbres et de troncs enterrés, qui donnent un excellent feu. Il s’en échappe même une sorte de résine parfumée, dont la senteur ressemble à celle de l’encens. C’est leur découverte qui a fait choisir cet emplacement, quand on voulut élever une usine d’amalgamation. Elles fournissaient un combustible presque inépuisable et dont l’extraction ne présente aucune difficulté. Ces tourbières sont exploitées par quiconque en demande une concession à la Compagnie.

Huanchaca est une petite bourgade moins pittoresque que Pulacayo, mais plus accorte, plus aimable. Elle a un air de jolie