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fine ciselure. Pour moi, je suis frappé de sa poésie pure et sobre, et, si tous les anneaux disparus de la guirlande avaient le même prix, j’avoue que je ne ferais point de difficulté de rapprocher cette ode de certains hymnes antiques. Par malheur, le reste a sombré, et celui qui entreprendrait de collationner une anthologie quichua en serait réduit à quelques refrains de ballades populaires, à quelques stances isolées et dont la provenance est souvent douteuse. Il risquerait d’exercer son ingéniosité sur une composition de missionnaire, car les jésuites firent plusieurs essais en vers indiens. La plupart des poésies quichuas qui circulent sont des prières chrétiennes, des morceaux de propagande religieuse. Elles n’ont pas moins de valeur que les cantiques de l’armée du Salut ; mais elles n’en ont pas davantage. Il est probable que le magicien qui saurait s’introduire dans les familles indiennes, y recueillerait encore aujourd’hui des rapsodies de leurs poètes de la période classique. Une personne qui, sans les avoir apprivoisés, a vécu parmi les Quichuas et parle leur langue, m’a récité et traduit une strophe d’un petit poème, la seule dont il se souvînt. Une mère indienne cherche son enfant égaré, rencontre une autre femme, la supplie de la seconder, et lui dit :

Chère colombe, mon enfant s’est perdu : peut-être le trouveras-tu dans ta marche. Tu le reconnaîtras sans peine : ses cils ont le doux scintillement des étoiles.

Rappelez-vous le sonnet exquis de J. M. de Heredia, intitulé l’Esclave. Le pauvre esclave s’adresse à son hôte, qui cinglera vers Syracuse, et le prie de s’y informer de celle qu’il aimait : « Pars, lui dit-il, va, cherche Cléariste…


Tu la reconnaîtras, car elle est toujours triste. »


Le sentiment est le même, et le poète indien l’a exprimé avec la même discrétion, le même infini dans l’inachevé que le poète moderne. L’être que nous aimons, nous ne pouvons croire que les autres ne le reconnaissent point du premier coup, et que sa tristesse ou le tremblement de ses cils ne le distingue pas à leurs yeux, comme aux nôtres, de tout l’univers.

Du temps des Incas, nous savons que de grandes représentations dramatiques se donnaient chaque année. Que furent ces spectacles ? Des sortes de mystères, selon toute probabilité. Garcilaso dans ses Commentarios Reales (1609) parle même de comédies. Nodal a imprimé à la fin de sa grammaire une pièce tout entière, en cinq actes et en vers, la Clémence d’un monarque. C’est la production la plus considérable de la littérature quichua, que conservent les Archives du Pérou. Mais on l’attribue à un curé, Antonio Valdès, qui l’aurait commise vers