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Et lorsque je me penche à mon tour il me semble
Qu’elle a notre regard et qu’elle nous ressemble.
Quand elle rit, l’écho reste silencieux,
Mais prenons garde. Ne vois-tu pas dans ses yeux
Qu’elle voudrait les fleurs que son désir dénoue
Déjà, et qui du front nous glissent sur la joue ?…
… Hélas ! il est trop tard ! je ne puis ressaisir
Les fleurs qu’entremêlait notre double loisir
Et dont nous nous parions de nos mains fraternelles,
Joyeuses de nous voir si pareillement belles.
Le soir vient. Nos pieds nus glissent dans les roseaux
Et la Nymphe perfide a fui les froides eaux.
Reprenons toutes deux les longs sentiers des landes ;
Il ne faut plus songer à nos pâles guirlandes.
Seul le lierre noir, qui nous paraît plus noir.
Enlace en ses liens nos tailles, et le soir,
Assombrissant mon âme attriste aussi la tienne,
Et ton bras me soutient pour que je le soutienne,
Car cette route est longue et le repos lointain.
Est-ce que notre joie heureuse du matin
Avec les fraîches fleurs que nous pleurons dans l’ombre
Serait restée au fond de la fontaine sombre ?


LE SOMMEIL


Je connais le chemin qui mène à la demeure
Endormie, où l’Amour s’est encor reposé,
Où dans le beau jardin s’épanouit et pleure
Le doux jet d’eau d’argent, comme un long lys brisé.

Je n’allumerai pas la lampe psychéenne
Dont la flamme est funeste à l’amoureux destin,
Car la lune arrondit sa courbe à demi pleine
Et semble l’arc tendu par l’Archer enfantin.

Le croissant au dormeur lance ses lueurs vertes
Et guidera vers lui mes regards curieux,
Quand ayant réuni mes guirlandes ouvertes
Je viendrai les suspendre au seuil silencieux.

Je marcherai sans bruit, sans bruit le portail sombre
Roulera sourdement, sur le pavé du seuil
Qu’ensommeillent déjà de leur arôme d’ombre
Et d’oubli, mes pavots vermeils au cœur de deuil.