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assez soigné d’avance son tombeau ? n’est-il pas vrai qu’il en a été le saule pleureur toute sa vie ? Il lui faisait de tendres visites sur le bord de la mer, et l’un de ses plus naïfs admirateurs me disait un jour, comme un trait d’originalité charmant : « Monsieur, il est allé cet été, tout seul, voir son rocher de Saint-Malo, et il n’a pas été faire visite à sa sœur âgée, malade, et pauvre, qui demeure quelque part sur cette route-là. » On me contait cela dans la voiture noire où je suivais ce pauvre Ballanche qui fut son Pylade. J’espère qu’il s’occupait assez de toute la comédie de sa vie, et du dénouement, voire même de l’oraison funèbre. — Comment, ingrate, vous n’applaudissez pas ? Après tant de peines prises pour les spectatrices ? Vous en êtes à Lamartine ? Aimez-vous beaucoup des confidences faites à l’univers ?


C’est que tout l’univers est bien reçu de vous.


Vous pourriez dire cela à Lamartine, vous savez ce vers-là comme Célimène. — Lui, il admire tout le monde et adore tout ce qu’il a vu, là comme dans son Histoire de la Révolution. Ce n’est pas qu’il pense ce qu’il dit, mais comme il est encore un peu en scène, il veut être poli avec les autres personnages qui se costument déjà dans les coulisses pour reprendre leurs rôles. Dites-moi lequel des deux s’aime le plus, et déteste le plus ce qui n’est pas lui-même ? Ou Chateaubriand, qui mord de tous côtés, ou Lamartine, qui encense et caresse tous et toutes ? Je crois vraiment qu’il y a plus de personnalité, d’égoïsme, dans cette caresse éternelle et générale, et une froideur plus complète. — Vous avez donc connu les bonnes femmes qui le grondaient. Disent-elles et pensent-elles, comme lui, qu’à quinze ans il était beau « comme la Statue de l’adolescence ? »

J’ai deux petites promenades à vous proposer, chère belle amie. Si vous voulez prendre mon bras, il ne tient qu’à vous. Mon oncle anglais, le général Bunbury, est gouverneur de la Jamaïque, où il m’invite à déjeuner ; et je reçois en même temps une lettre d’un de mes amis, ministre russe et chambellan aide de camp de l’Empereur, qui m’invite à dîner à Tiflis en Géorgie pour voir la guerre poétique des Circassiens. Il n’y a rien de plus simple que cette partie de plaisir, dit-il. De Marseille, en trois semaines, je serai à Constantinople, plus huit jours à Rediat-Kal (vous saurez que c’est le jardin du Caucase) ; je passe la Grotte de Jason, j’arrive à Tiflis, je dîne chez mon ami russe et j’y loge, je remonte le Volga en bateau à vapeur, j’assiste à