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la nature qui veut vivre en dépit de tout, je dors pour une heure et demie. C’est mon seul sommeil. J’en sors moins malade, en ce moment, et il me donne assez de force pour vous écrire.

Mais autre chose est survenu en moi. Après une vie toujours active, une immobilité de deux ans a altéré ma constitution et tous les jours mes jambes sont gonflées, et je ne peux ni me lever d’un fauteuil, ni marcher dans la chambre sans le soutien de deux personnes. Les frictions de toute sorte n’y ont rien fait, et aujourd’hui même je suis dans le même état.

Vers trois heures, on me lève. Je cherche alors à recevoir mes parens et à leur paraître guéri ; mais ces efforts-là me font mal presque toujours. Cependant il me semble que j’ai quelquefois réussi, car vous me paraissez très rassurée et vous m’écrivez, en folâtrant, que c’est pour ne reparaître que tel que j’étais que je reste chez moi. Cependant je dois croire qu’en d’autres récits, mes parens sont moins optimistes, car nous avons des cousines pieuses qui ont multiplié près de moi les amulettes, les médailles de la Vierge immaculée, et même des saintes amoureuses comme Mme de Chantal.

Le pauvre archevêque de Paris (que ces médailles n’ont malheureusement pas sauvé) m’est venu voir trois fois, comme depuis, l’évêque d’Orléans et un certain nombre d’abbés que je vous décrirai plus tard, ainsi que leurs rapports avec moi, en grand détail et vérité historique.

Voilà, ma chère amie, l’état des choses. Comment le trouvez-vous ?

A présent je ne puis avoir de volonté sur ce que vous ferez de voyage, si vous ne m’écrivez d’abord ce qu’il vous est permis de faire dans votre position.

Pour combien de temps pouvez-vous habiter Paris ? Mme de Croy vous loge-t-elle chez elle pendant votre séjour ? Aurez-vous dans l’été une autre occasion de revenir à Paris ? Quels sont ces projets que vous me faisiez sous-entendre dans votre première lettre ? Vous paraissent-ils praticables à présent ? Vous savez mon état. Jugez vous-même.

Si vous veniez à présent vous n’auriez rien à faire qui me fût utile comme vous l’offriez, et comme les hommes seuls de notre famille l’ont pu faire ; et pour moi ce serait un supplice de Tantale que de ne vous voir que peu d’instans dans la journée, de 3 heures à 6 heures du soir, troublé sans cesse par des visites que les liens du sang