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que fait la Mission Intérieure, mais de tout le mieux aussi qu’elle a cessé de rêver.

Un professeur d’université, Victor-Aimé Huber, servit excellemment les idées de Wichern ; il les compléta même et les précisa. De laborieux voyages en Angleterre, en France, en Autriche et dans les diverses régions de l’Allemagne lui avaient révélé les dessous de ce régime industriel dont l’opinion libérale admirait la façade ; dans sa belle âme de philanthrope s’insurgeait parfois un dégoût presque révolutionnaire contre l’oppression des classes ouvrières et l’indifférence des classes élevées ; sa plume, naïve en injures, accentuait encore l’âpreté de ses révoltes : « L’aristocratie autrichienne, écrivait-il un jour, mériterait d’être fouettée avec des scorpions » ; et dans ses écrits les saillies de ce genre abondent. Ils contiennent, heureusement, quelque chose de plus, un plan de « colonisation intérieure », des projets de cités ouvrières, et d’associations de travailleurs pourvues d’une propriété corporative : au prix de quelque complaisance, M. le pasteur Gœhre salue, dans ces linéamens, le premier programme « évangélique-social ». La conception d’un certain patriarcat exercé par les classes élevées sur les groupemens ouvriers, le parti pris de ne faire appel qu’à l’association, une défiance invincible contre l’Etat, maintiennent Huber à l’arrière-plan dans l’histoire du mouvement « évangélique-social » ; mais le penseur qui écrivait en 1845 : « Les questions d’économie politique laïque ont extraordinairement à faire avec l’économie chrétienne du royaume de Dieu », et qui consacrait un journal, le Janus, à la propagande d’une pareille théorie, ne doit point disparaître de cet arrière-plan.

Huber et Wichern étaient des exceptions dans leur Eglise. Celui-là, spécialiste en économie sociale, n’avait rien d’un théologien ; quant à Wichern, il se maintenait comme en marge de l’Eglise établie, et l’admiration déférente que lui témoignaient les autorités du protestantisme et celles de l’Etat s’adressait à ses œuvres de bienfaisance plutôt qu’à ses maximes. Les Eglises évangéliques, en Allemagne, furent lentes à comprendre leur rôle social, et lentes surtout à l’oser. Cette simple remarque, — soit dit en passant, — suffit à trancher une question de priorité, que débattent entre eux volontiers protestans et catholiques : laquelle des deux confessions, en Allemagne, a donné le signal des initiatives sociales ? Or il est certain que les premiers écrits de Wichern furent antérieurs aux premiers discours sociaux du