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d’être : « conservateur », « chrétien-social », « antisémite ». On les lui a chicanées, et puis on les a fait tomber, comme on eût arraché de simples masques. Dans le monde des idées, tout homme qui pense a son état civil, sur lequel il veille avec jalousie, et faute duquel il devient un outlaw, un paria : M. Stoecker, homme de discipline s’il en fut, avait un état civil, fort précis et fort bien tenu : on le lui a déchiré. « Chrétien-social » : ce mot, depuis le télégramme impérial, a quitté le vocabulaire, — celui des fidèles sujets, tout au moins. « Antisémite » : la fraction du Reichstag qui s’est ainsi dénommée a des tendances que M. Stoecker repousse, des instincts qu’il déplore, des souillures qu’il flétrit. « Conservateur » : il n’a plus le droit de s’appeler de ce nom, de par la volonté des conservateurs eux-mêmes. La personnalité de M. Stoecker, à l’heure présente, est une personnalité déshabillée ; et contre ce résidu, de multiples haines continuent de s’acharner. Elles veulent écraser l’ancien prédicateur de la cour, comme si déjà elles l’avaient terrassé ; en fait, M. Stoecker est toujours debout. Débaptisé par ses ennemis, par ses amis, par l’empereur lui-même, il est apparemment convaincu, par le langage trop formel des circonstances, que ses chances politiques sont singulièrement précaires ; chrétien toujours, il prétend ne point abdiquer cette influence que peut exercer tout homme de foi, par ce fait seul qu’il la veut exercer ; chaque dimanche encore, dans l’église que lui construisit, pour lui tout seul, il y a trois ans, la fidélité vraiment fervente de ses amis, il annonce l’Evangile à plus d’un millier de personnes, petites gens pour la plupart ; rebuté par tant de mépris, il réunit encore l’un des plus nombreux auditoires que puisse espérer un pasteur dans cette capitale d’irréligion ; et ce n’est point la curiosité, c’est l’attachement qui groupe autour de lui ce restant de foule.

On n’a point voulu qu’il devînt une colonne de l’édifice impérial ; mais on ne pourra faire que M. Stoecker, déchu de ses postes et déchu de ses ambitions, déchu même de son honneur aux yeux d’un certain nombre d’Allemands, consente à n’être qu’une banale épave. Se laisser oublier, même pour quelques mois, le grand disgracié s’y refuse : en faisant le mort, il donnerait à ses adversaires l’illusion qu’ils l’ont tué. Et c’est pourquoi, s’abouchant avec M. le pasteur Weber et M. le professeur de Nathusius, et cherchant une étiquette vierge pour se refaire une virginité, M. le pasteur Stoecker, étonnant d’énergie, essayait de fonder, cet été, le parti « ecclésiastique social », où l’on