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M. Naumann, est l’immortel docteur de l’amour mutuel et de la fraternité. Il a parfois eu la bonne fortune, en réclamant des socialistes une tendresse respectueuse pour le christianisme ainsi présenté, d’emporter des adhésions insignes : il faisait en octobre dernier la recrue de M. Max Lorenz, journaliste révolutionnaire de Leipzig, homme de talent, dont toute la presse allemande a commenté la conversion ; et comme l’imagination rapidement optimiste de M. Naumann décuple les conquêtes que la réalité lui concède, il espère, parmi ces forces révolutionnaires qui risquent de jeter l’Empire à bas, provoquer un schisme sauveur.

Dans la lutte entre le capital et le travail, mêlée désordonnée, brouille anarchique où fermentait confusément la haine, le socialisme est intervenu : organisant la lutte, il a corrigé l’anarchie, mais il a cultivé la haine ; M. le pasteur Naumann veut à son tour organiser cette lutte, en enseignant l’amour. Avec sa double escorte de pasteurs indépendans de l’Eglise officielle et d’universitaires indépendans de la politique officielle, il regarde s’élever, en un flot incoercible, ces masses que le libéralisme, après les avoir instruites tout juste assez pour les soustraire à la direction des vieux dogmes, qualifie maintenant de barbares ; et sans poursuivre la revanche de ces dogmes, dont les théologiens ont égaré la formule, M. le pasteur Frédéric Naumann, trop naturellement pacifique, d’ailleurs, pour avoir la pensée d’aucune revanche, inclinant vers Guillaume II sa tête loyale et fière, et tendant à M. Bebel sa large main bien ouverte, leur demande à tous deux s’ils veulent collaborer, non point dans un millénium utopique, mais tout de suite, cet hiver même, et sur le terrain qu’offre l’Empire allemand, à la double et commune victoire du peuple et de Jésus. Si les rêves de M. Naumann s’épanouissaient en trophées, il en honorerait la mémoire du vieux Wichern, aux côtés duquel, jeune candidat en théologie, il passa deux ans et demi ; et quoi qu’il advienne, la gratitude du disciple à l’égard de cet aïeul singulièrement dépassé assure à l’histoire du mouvement social-évangélique, malgré le caprice des puissans et la souplesse obligatoire des Eglises établies, une belle apparence d’unité et une sorte de cohésion triomphante.


GEORGES GOYAU.