Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêvé de voir Tombouctou, il l’a vue malgré lui, et, mort en captivité, on n’a jamais su quelles impressions il avait rapportées de son déplorable voyage. Un siècle et demi plus tard, un Écossais, le major Alexandre Gordon Laing, chargé d’une mission par le gouvernement anglais, réussit à atteindre la célèbre et mystérieuse cité ; il y passa quelque temps, mais on ne l’a jamais revu : à peine avait-il repris la route d’Araouan et du désert par laquelle il était venu, il fut assassiné le 24 septembre 1826. S’il en faut croire M. Lenz, un marabout était mort d’une médecine que lui avait administrée le major anglais, et on fit disparaître le dangereux médecin. D’autres prétendent qu’il y avait là-dessous une histoire de femme. Selon la version rapportée par M. Dubois et qui paraît plus sûre, il n’avait eu qu’un tort : il ne s’était pas donné la peine d’expliquer à tous venans ce qu’il venait faire à Toubouctou. Les Soudanais sont à la fois très curieux et très défians ; ils désirent qu’on les rassure, et ils prennent facilement en gré l’étranger qui les amuse. L’infortuné Laing ne les avait ni amusés ni rassurés ; ils le soupçonnèrent d’être un espion.

C’est quelque chose que d’aller à Tombouctou ; mais il faut en revenir, et les premiers Européens qui en revinrent furent un Poitevin, l’héroïque René Caillié, et, vingt-cinq ans plus tard, le docteur Barth, l’éminent explorateur allemand, qui, ainsi que Laing, voyageait pour le compte de l’Angleterre. Jadis les Anglais décrièrent odieusement René Caillié, qu’ils firent passer quelque temps pour un vil imposteur ; Barth l’a réhabilité, mais il parle de cet inculte avec un superbe dédain, et cependant il lui a emprunté ses plus précieux renseignemens. « René Caillié, dit M. Dubois, ayant vu, observé à merveille pendant les quatorze jours qu’il vécut à Tombouctou, a rapporté une moisson incomparablement plus riche que Barth, qui y séjourna de longs mois. » Le docteur allemand a eu la gloire « d’être le premier à tracer le cours du Niger oriental jusqu’à Say, et il a défriché de vastes champs à la géographie autour du lac Tchad. » Mais il a mal vu Tombouctou. Vivant dans la société du cheik El Backay, qui était un étranger et dont il s’exagérait l’influence, brouillé avec les autorités et la population qu’il avait indisposées par sa morgue, réduit à se confiner dans sa maison où ses serviteurs montaient la garde, il n’a vu de la ville que ses toits et n’a guère frayé avec ses habitans.

Le docteur Lenz, lui aussi, sortit peu de chez lui durant les trois semaines qu’il passa à Tombouctou. Il avait péniblement traversé le désert, et il était venu s’échouer dans un repaire qui lui parut affreux, dans le bourg d’Araouan, où il avait employé son temps à se battre