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comprendre les désirs de la France. » Presque aussitôt les exécutions cessèrent. A Naples, nos agens s’employèrent activement à faciliter la fuite des principaux persécutés. Rayneval, notre ambassadeur, cacha dans sa demeure Mancini, qui l’a bien oublié depuis, et assura son départ ainsi que celui de ses amis Pisanelli et Conforti.

Ce fut à l’occasion d’autres réfugiés que se produisit le premier choc entre le prince L. Napoléon et le tsar. A la suite de l’intervention de la Russie en Hongrie, les chefs du mouvement, Kossuth, Bem, Zamoyski, s’étaient réfugiés à Widdin, au-delà de la frontière turque. L’Autriche demanda à la Porte Ottomane de les lui livrer. Nicolas l’appuya ; le sultan répondit que les traités ne l’obligeaient à rien de pareil et il refusa. Aussitôt les ambassadeurs autrichien et russe rompent les relations en déclarant que, si la Turquie permet à un seul réfugié de s’échapper, cette autorisation serait considérée comme une déclaration de guerre. La Porte demande le secours de la France et de l’Angleterre. Tocqueville hésitait sur la réponse : le prince, sans le consulter, ni lui ni ses collègues, se met d’accord avec Palmerston, et ensemble ils envoient des représentations à la Russie et à l’Autriche et expédient leurs flottes vers les Dardanelles pour raffermir le sultan « comme on met un flacon de sels sous le nez d’une dame qui aurait été effrayée[1] ». Les ministres instruits de cette résolution se consultent et ne savent à quoi s’arrêter. Thiers accourt, critique, tempête, menace, s’écrie que la France est perdue si l’on ne revient pas sur une détermination téméraire. Le prince écoute Thiers et ses ministres et persiste. La détermination était si peu téméraire que le tsar, remis d’un premier mouvement de colère, instruit des sentimens des cabinets anglais et français, renonça à ses exigences afin d’éviter l’humiliation de céder à des remontrances ou la nécessité de dégainer. Il ne nous marqua même aucun ressentiment et ne se montra blessé qu’à l’endroit de Palmerston avec lequel il se trouvait habituellement en délicatesse. Au lendemain de la reculade de l’Empereur, l’ambassadeur anglais se rendit chez le chancelier russe, et lui lut une note : « L’affaire est arrangée, répondit le chancelier, d’ailleurs l’Angleterre n’a rien à y voir. — Recevez au moins copie de ma note. — A quoi bon ? » Cependant il la reçut, de

  1. Palmerston.