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mémoire, supprimé comme un méfait, la séparation du temporel et du spirituel. Il conseillait de confier aux laïques les emplois temporels, et de ne plus menacer, à propos d’un droit d’octroi, de l’indignation du Très-Haut et de celle des bienheureux Pierre et Paul ! Rossi, en 1848, avait repris ce projet, mais en le poussant plus loin. La séparation du spirituel et du temporel opérée, il voulait que le temporel devînt libéral, constitutionnel. Il semblait que sa mort eût enseveli à jamais cette conception. La lettre à Edgar Ney la ressuscitait et lui donnait une forme systématique.

Jusque-là il n’y avait parmi les catholiques que deux thèses relativement au pouvoir temporel. Les uns, s’appuyant sur les temps primitifs et sur les paroles de Tertullien : « Rien de terrestre, rien absolument, rien n’est nécessaire à la foi », maudissaient avec Dante « ce Constantin qui, pour le malheur de l’Eglise, fit le pape riche », et avec Manzoni, conjuraient le successeur de Pierre, « de rendre Rome à l’Italie, et de n’être plus que le roi des prières et le Pontife du Sacrifice. » Les autres disaient : La souveraineté temporelle du Saint-Siège a été instituée par un décret particulier de la divine Providence ; elle est nécessaire afin que le Pontife romain, n’étant sujet d’aucun prince ou d’aucun pouvoir civil, exerce dans toute l’Eglise, avec la plénitude de sa liberté, la suprême puissance et l’autorité dont il a été divinement investi par Jésus-Christ. Désormais il y eut un parti moyen demandant avec une égale insistance le maintien du pouvoir temporel et sa transformation en un gouvernement plus ou moins constitutionnel. « S’il ne se décide pas, disait-on, à des institutions libérales, compatibles avec la condition actuelle des peuples, quelle que soit la puissance des mains qui s’étendront pour le soutenir, il sera bientôt en grand péril[1]. » Lacordaire jugeant qu’un « gouvernement d’ancien régime, c’est-à-dire refusant l’égalité civile et la liberté de conscience, ne se concevait plus, même à Rome », préconisa ce système[2]. Proudhon, par d’autres raisons, arriva à la même conclusion[3]. Ce système resta celui de la diplomatie française et européenne jusqu’à l’ouverture de la brèche de la Porta Pia.

Pie IX eût-il voulu l’adopter, cela ne lui aurait pas été

  1. Tocqueville.
  2. De la liberté de l’Italie et de l’Eglise, p. 32.
  3. La Confédération et l’unité de l’Italie, p. 100.