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réunissaient parfois dans la salle du Conseil d’Etat pour délibérer en coin mu n. On ne pouvait tirer d’un amalgame de légitimistes, d’orléanistes, d’élyséens, de républicains, un président agréé par tous ; on en avait créé douze qui, à tour de rôle, dirigeaient les délibérations. Ces présidons se renouvelaient par moitié tous les six mois, et les six sortans restaient adjoints aux douze en fonctions, formant avec eux une sorte de comité directeur chargé de convoquer les réunions générales, de préparer les propositions à leur soumettre. Ce sont les membres de ce comité qu’on nommait les Burgraves, par réminiscence de la pièce très sifflée de Victor Hugo, dans laquelle des vieillards sermonneurs jouent un rôle principal[1].

Les Burgraves se réunirent chez Victor de Broglie. La première fois on s’en tint à des considérations vagues, sans rien conclure ; la seconde réunion allait se passer de même, quand Thiers prit la parole et serra de près la question. Il dit[2] :

« Je crois que l’on n’avance pas les affaires dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons en esquivant les questions et en pataugeant. Il faut parler net. Y a-t-il quelque chose à faire ? S’il n’y a rien à faire, qu’on en prenne son parti. Ne continuons pas à nous agiter et surtout ne continuons pas à agiter le pays par une recherche inutile. Disons-lui : Non, il n’y a rien à faire, il faut aller tout doucement jusqu’à 1852. — Je l’ai dit plus d’une fois, il y a les moyens décisifs et ceux qui le sont moins, ou, pour parler plus clair, les moyens inconstitutionnels et ceux qui peuvent s’accommoder avec la constitution. Veut-on des premiers ? Si oui, il ne suffit pas que vous soyez seuls à en vouloir. Pour modifier la Constitution le concours du Président est nécessaire. Je ne parle qu’en mon nom, je ne suis nullement autorisé à parler en son nom. Je ne suis pas, on le sait, un homme de l’Elysée, j’y ai rarement mis les pieds. Je dirai même qu’appelé, avec quelques membres de la majorité, par le prince Louis après les élections du 10 mars et consulté par lui sur la conduite à tenir, je lui dis : « Il y a les moyens légaux et les moyens illégaux. » Il me répondit immédiatement. « Ecartons les derniers, je ne veux pas

  1. Les Burgraves à ce moment étaient MM. Berryer, V. de Broglie, Thiers, Molé, Montalembert, Vatimesnil, Léon Faucher, Buffet, Benoist d’Azy, Beugnot, Chasseloup-Laubat, Daru, J. de Lasteyrie, Montebcllo, de Sèze, Piscatory, Saint-Priest.
  2. Je cite textuellement, d’après les notes inédites prises sur l’heure par un des assistans. Du reste, quiconque a entendu une causerie de Thiers l’y reconnaîtra.