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et par la responsabilité. C’est néanmoins ce que les législateurs de 1848 ont trouvé légitime sous prétexte d’égalité politique. Or l’égalité politique n’est pas plus légitime et plus rationnelle que l’égalité sociale. La loi fatale de tout organisme sur notre obscure planète comme dans les mondes dont nous n’apercevons que les lointains reflets, c’est la diversité, c’est-à-dire l’inégalité. Il n’existe pas deux brins d’herbe, deux feuilles, deux animaux, deux mortels, deux soleils semblables, c’est-à-dire égaux. Si l’égalité est la loi politique, pourquoi ne deviendrait-elle pas la loi sociale ? quelle raison de condamner à l’inégalité devant le coffre-fort ceux qu’on a rendus égaux devant l’urne ? Quoi qu’on fasse, ou l’inégalité sociale tuera l’égalité politique, ou l’égalité politique conduira à l’égalité sociale. L’inégalité ne serait intolérable que si, fermée, elle empêchait le génie, et le travail, de monter du niveau inférieur aux échelons les plus élevés ; dès que, ouverte, elle n’empêche pas l’ouvrier de devenir millionnaire, le tanneur président de la République, on jouit de toute l’égalité compatible avec la loi naturelle.

Les égalitaires eux-mêmes sentent si bien qu’il y a dans notre suffrage universel un vice inquiétant, qu’ils ne sont pas encore fixés sur sa procédure définitive, et ils oscillent du scrutin de liste au scrutin d’arrondissement. L’un ne vaut pas mieux que l’autre. Le scrutin de liste donne à la déraison les facilités qu’il retire à la corruption : le mal ne fait que changer de nature. Le remède serait dans une organisation hiérarchique en groupes spéciaux et professionnels, substituant des hommes instruits, compétens aux bavards superficiels qui, selon l’expression de Falloux, n’étant capables de rien sont capables de tout[1]. On ne saurait espérer qu’une assemblée quelconque ait le courage ou la prévoyance de cette réforme, faute de laquelle ou nous périrons ou nous descendrons au dernier rang des nations. Elle est réservée à l’homme providentiel qui, à l’heure marquée, sera suscité pour sauver Israël. En attendant, on pourrait adopter un certain nombre de palliatifs d’une plus facile et immédiate application.

Les Burgraves n’imaginèrent ni ne proposèrent un de ces palliatifs. On ne peut concevoir une combinaison aussi maladroite,

  1. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les belles et substantielles études de M. Charles Benoist sur cette question. — Voir aussi Emile Ollivier, 1789 à 1889, p. 245 et 255. — Solutions politiques et sociales, p. 502.