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les républicains, vulgaires, ignorans, inexpérimentés, violens. » Les catholiques indifférens aux démêlés politiques oublieraient-ils sa défense du Pape, ses amendes honorables dans la commission de renseignement, ses déclarations en faveur des Jésuites proscrits par lui en 1847 ? Les industriels, les commerçans ne lui seraient-ils pas reconnaissans de ses discours en défense de la propriété et des principes sociaux ? Son élection était donc certaine, pourvu que le Prince fût écarté. C’est pour y travailler qu’il montait à la tribune.

Son discours est une merveille de finesse, d’habileté, parfois d’éloquence, toujours de duplicité maligne. J’étais à la séance où il le prononça. Je le vois encore, un petit mouchoir à la main pour s’essuyer le front, tour à tour excitant, retenant, enchantant l’Assemblée suspendue à ses lèvres. Il défend Changarnier, mais en dénonçant malicieusement son mauvais caractère. Il célèbre son propre désintéressement, mais en même temps il pose sa candidature présidentielle. Il ne servira plus qui que ce soit, si ce n’est la république ; il la servira franchement, complètement, sans arrière-pensée. Il a cru longtemps à la monarchie, il s’est peut-être trompé, et le système américain est peut-être préférable au système anglais. C’est au Président, au compétiteur surtout qu’il s’attaque sans un gros mot, il le déchiquette, critique l’ensemble de sa conduite et particulièrement la destitution du général au mauvais caractère. Il n’y a plus à s’y tromper, on veut nous ramener au temps maudit où les prétoriens proclamaient les Césars. On y est, si la destitution du général demeure impunie. Puis, sans indiquer aucun moyen pratique de résistance ou d’action, il prophétise que « si l’Assemblée faiblit, au lieu de deux pouvoirs, il n’y en aura plus qu’un ; le mot viendra quand on voudra ; l’Empire est fait. »

Malgré ces exhortations et cette prophétie, l’Assemblée fait plus que faiblir. Comme après le message d’octobre, comme après les réunions chez Victor de Broglie, dès qu’elle sent devant elle le Président résolu, elle rompt et recule. Après tant de tapage, elle ne décrète rien contre le Président ; elle n’ose pas même accorder un mot de consolation à la victime ; elle concentre ce qui lui reste d’énergie contre le ministère demeuré aux affaires sur ses instances et, anodine même contre lui, elle se contente de déclarer qu’il n’a plus sa confiance. La Montagne, à laquelle elle devait sa majorité, avait exigé le silence sur le général qui avait