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Tout ce qu’on peut dire, c’est que, dans la grande machine sociale, la civilisation multiplie et les rouages, et leurs contacts, et leurs frottemens : il ne faut pas s’étonner que, provisoirement, bien des accidens s’ensuivent. Mais, dans nos mécanismes industriels, le progrès de la science arrive à les éviter. Les chemins de fer tuent beaucoup moins d’hommes que les vieux moyens de transport. Une meilleure organisation de la machine sociale pourrait aussi diminuer, au lieu de l’accroître, la somme des vices. Il faut que, comme les locomotives perfectionnées, notre civilisation arrive, selon le mot de M. Tarde, « à dévorer sa propre fumée. »

On a encore voulu voir dans l’augmentation de la criminalité un signe de « génialité » croissante. Cependant, parmi les ascendans des criminels, on constate la débauche, la paresse, l’alcoolisme, la folie, l’ignorance même, beaucoup plus que parmi les ascendans des hommes honnêtes, mais on ne constate pas plus de « génie ». M. de Candolle a même montré, au prix de recherches patientes, que, parmi les conditions les plus favorables à l’apparition du génie, surtout scientifique, il faut compter en premier lieu un foyer domestique essentiellement moral, pur de tout délit et de tout vice, attaché héréditairement à l’honnêteté traditionnelle. Le minimum de criminalité lui a paru lié au maximum de génialité scientifique. Faut-il, avec M. Tarde, conclure de là qu’il n’y a pas « le moindre rapport entre les causes du crime et les causes du génie » ? Non ; cette conclusion n’est pas elle-même suffisamment justifiée ; car il ne s’agit pas seulement de savoir si, dans une même famille, le crime et le génie sont liés, mais encore et surtout si les conditions sociales qui favorisent, avec la civilisation, la manifestation plus facile du génie, ne favorisent pas aussi, par une compensation fâcheuse, le développement du crime. Or, voici ce qu’on peut dire sur cette grave question, de manière à réconcilier dans ce qu’elles ont de vrai les opinions extrêmes. Plus les sociétés sont élevées en civilisation, plus elles sont sujettes à la loi de variation, de même que les espèces plus élevées sont plus variables et conséquemment plus progressives. Même parmi les sexes, le plus capable de variations, soit heureuses, soit malheureuses, est le sexe masculin, parce qu’il est plus actif, plus mouvant, de plus forte initiative. Aussi présente-t-il une plus grande proportion d’écarts anormaux, soit qu’il s’agisse du nombre des génies, soit qu’il s’agisse du nombre des crimes, ou même des