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anomalies de conformation, bec-de-lièvre, surdi-mutité, idiotie, etc., ou enfin des aliénations mentales. De même, dans les sociétés supérieures, on voit se produire, pendant une certaine période transitionnelle, le parallélisme du génie, de la folie et du crime. On compte annuellement dans l’ancien monde environ trois cent mille fous, dont la majeure partie se trouve en France en Allemagne et en Angleterre, dans les pays de plus grande activité intellectuelle. Ce fait a trompé les sociologues qui ont conclu, d’une manière trop absolue, qu’une plus forte criminalité pouvait être un signe de supériorité dans l’évolution. Tout ce qu’on peut leur accorder, c’est qu’un certain accroissement de la criminalité n’implique pas nécessairement ni toujours un fond pire qu’autrefois ; mais la civilisation produit des variétés humaines plus nombreuses et, avec plus d’occasions de mal faire, elle provoque un nombre croissant de certains délits.

Plus la criminalité d’une nation appartient au stade « moderne », plus les causes sociales y prédominent sur le climat, la race et la constitution. Après avoir étudié la distribution de la criminalité dans les cinq grandes nations de l’Europe occidentale, M. Ali mena a formulé les lois suivantes : 1° A mesure que la société est plus civilisée, les mobiles réfléchis, tels que la cupidité, tendent à remplacer, comme facteurs de la criminalité, les passions impulsives, colère : jalousie, amour, vengeance ; 2° les régions qui présentent le plus de procès civils sont aussi celles qui présentent le plus de crimes ; 3° plus un pays est centralisé de longue date, plus il a une criminalité « urbaine. » En Espagne et en Italie, la criminalité va croissant du nord au sud ; en Allemagne de l’ouest à l’est ; en France elle se distribue autour des grands centres, notamment de la capitale. La criminalité tend donc à passer des campagnes aux villes ; le brigandage classique d’autrefois dans les campagnes a son équivalent dans les associations de malfaiteurs, si nombreuses au sein des grandes cités ; on n’arrête plus les diligences, mais on vous vole votre montre ou on dévalise votre chambre. Telles sont les lois normales de l’évolution pour la criminalité. Or, en France, ces lois ne suffisent pas à expliquer l’état actuel, surtout la criminalité juvénile. En premier lieu, au lieu de voir baisser les crimes dus aux mobiles des civilisations peu avancées, colère, jalousie, amour, vengeance, nous voyons croître les crimes « d’impulsivité » barbare ; et les attentats contre les personnes égalent presque