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eux-mêmes instinctifs et durables. Seulement, il ne faut pas se méprendre sur le choix des moyens.

Stuart Mill nous raconte que son père James « croyait que tout serait sauvé si le monde savait lire » ! Ainsi pensait, ou à peu près, tout le XVIIIe siècle, qui répétait avec Condorcet : « Une instruction universelle et se perfectionnant sans cesse est le seul remède aux causes générales des maux de l’espèce humaine. » Les vraies conquêtes, disait Bonaparte lui-même (Décade du 9 janvier 1793), les seules qui ne donnent aucun regret, sont celles que l’on fait sur l’ignorance. » Il oubliait d’ajouter sur le vice. De nos jours, le courant d’idées change. Comme la période de criminalité croissante et celle de l’instruction obligatoire coïncident, on se demande si l’école n’a point favorisé le crime. Une coïncidence ne serait cependant pas, à elle seule, une explication ; il est clair qu’il n’a pu suffire de proclamer l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, pour produire dans l’année, et même l’année précédente (1881), un saut de la criminalité chez les enfans mineurs, chez ceux mêmes qui n’avaient pas encore reçu l’instruction nouvelle. Les enfans punis pour vol ou vagabondage ne doivent pas leurs vices, sans doute, à une fréquentation trop assidue de l’école. M. Arthur Mac Donald, qui a fait une étude attentive des statistiques des divers pays, afin de découvrir si les chiffres justifient ou infirment l’opinion que la criminalité croît avec la scolarité, arrive à cette conclusion que la relation entre ces deux faits reste inconnue[1]. Il y en a cependant une, que nous essaierons de déterminer tout à l’heure, mais la statistique ne suffit pas à la révéler. Aux purs statisticiens qui tirent argument de la coïncidence entre l’accroissement de criminalité et l’instruction obligatoire, on peut répondre par une autre coïncidence beaucoup plus significative ; la loi de 1880 a établi la liberté des débits de boissons ; depuis le vote de cette loi désastreuse, la consommation des alcools, et des alcools de mauvaise qualité, a triplé, et depuis trente ans sextuplé, si bien que la France a passé du septième rang aux premiers. Est-ce l’école, ou est-ce le cabaret qu’il convient d’accuser ? Si en 1887 le nombre annuel des délits de coups et blessures s’était accru déjà d’un tiers, la statistique attribuait cet accroissement aux progrès de l’alcoolisme, non à ceux de l’instruction. Le dixième des suicides, en 1887, avait été causé

  1. Voir Abnormal Mail (Washington Government Printing office) 1893, et Criminology, New-York, 1893.