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chimistes ou des physiciens, des savans au petit pied, qui, ne se trouvant plus à la place qu’ils eussent ambitionnée, seront une proie facile au socialisme ; mais ils doivent être initiés aux grandes questions qui sont la préoccupation des esprits soucieux de l’avenir ; et alors ils jugeront leur rôle assez beau, leur place assez haute, leur rang assez noble. Les instituteurs sauront toujours assez de mathématiques et de physique pour enseigner aux enfans les notions usuelles ; le plus difficile de leur tâche, c’est l’éducation morale et sociale ; là-dessus, ils ne sauraient être trop préparés ; à eux d’abord il faut inspirer le véritable esprit.

L’éducation n’est pas un métier, ni même une fonction, encore moins une fonction politique, c’est une mission morale et sociale. L’instituteur doit vraiment « instituer, fonder, établir » : dès lors, comment tolérer plus longtemps la situation anormale des instituteurs par rapport aux préfets, dont ils dépendent, et qui les change nécessairement en agens politiques ? C’est du recteur, placé assez haut et assez loin, du recteur, autorité vraiment morale et pédagogique, ayant à la fois compétence et indépendance, que les instituteurs devraient relever, non de l’agent éphémère d’une politique « sans cesse changeante, mais rarement libérale[1]. » Les instituteurs, a dit récemment M. Buisson, se découragent et se démoralisent à voir — ou simplement à croire — que la protection des hommes politiques compte plus pour l’avancement que les états de service : que, plus on leur demande de dignité et de dévouement, moins on leur accorde de garanties contre l’arbitraire. M. Buisson se plaignait aussi de ce que le recrutement des écoles normales devient de plus en plus difficile : si on continue, disait-il, à fermer les oreilles aux vœux légitimes du personnel de l’enseignement primaire, son niveau ne tardera pas à s’abaisser et on aura compromis le fruit des énormes sacrifices consentis depuis vingt ans[2]. Tous les instituteurs

  1. M. Bonzon, ibid. Un récent ministre de l’Instruction publique, grand patron de « l’enseignement moderne », et adversaire des études classiques, disait aux instituteurs de la Seine : « Vous aurez bien mérité de la République, de la patrie, si vous parvenez à nous faire une génération coulée dans un moule qui porte, sur ses bords, la noble image de la République ! » Un autre ministre avait eu plus raison de dire : « Nous ne vous demandons pas de faire des élections, mais de faire des électeurs.
  2. Le nombre des écoles normales devrait aussi être réduit ; beaucoup ont autant de professeurs que d’élèves ; moins nombreuses, elles pourraient être dirigées par une élite de maîtres. C’est ce que la Chambre des députés n’a pas voulu comprendre.