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absolument d’un acte. « On ne peut, prétendait déjà d’Holbach, — pour s’excuser sans doute, — faire aucun mal aux hommes en leur proposant ses idées. Que résulterait-il, en effet, d’un ouvrage qui nous dirait que le soleil n’est pas lumineux, que le parricide est légitime, que le vol est permis, que l’adultère n’est point un crime ? » Ce sophiste oubliait que la lumière du soleil visible ne peut être éteinte pour nos yeux (tant qu’ils sont ouverts), mais que celle du soleil intérieur peut s’éteindre pour notre conscience. A force de répéter que l’adultère n’est point un crime, pensez-vous sérieusement que vous ne l’encouragerez point ? Et La Mettrie disait de même : « J’ai cru prouver que les remords sont des préjugés de l’éducation… théorie innocente et de pure curiosité. » Le bon apôtre ! Nous savons aujourd’hui comment les théories « innocentes » passent dans la pratique. Que des journaux malsains représentent la société actuelle comme une vaste exploitation des pauvres par les riches, la propriété comme un vol, le capital comme une détention inique des produits du travail et une spoliation de l’ouvrier, la révolte et la révolution comme le plus sacré des devoirs, croyez-vous que ces erreurs ou ces mensonges resteront longtemps à l’état de spéculation platonique, que la déraison dans les pensées ne deviendra pas la déraison dans les actes ? Espérez-vous que les idées se tiendront immobiles et inertes dans les esprits « comme des couteaux dans la poche ? » Non, ce sont des armes qui aspirent à sortir et à frapper. « Je ne suis pas un voleur, je suis un restitutionnaire ! disait à M. Proal l’accusé Clarenson, âgé de trente ans environ. La terre et les produits de la terre sont à tous. — Vous avez donc lu J.-J. Rousseau ? — Je lis encore en ce moment son discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. Quel beau livre ! C’était un vrai socialiste, J.-J. Rousseau, comme Jésus-Christ, comme Robespierre. » « La vie est une bataille, disait à son tour l’assassin Abadie ; je frappe quiconque me fait obstacle ; les forts mangent les faibles. » Voilà qui est « maximiser » ! Qui ne se souvient de la conférence sur le darwinisme faite par Lebiez avant de commettre son assassinat : « Chacun lutte pour se faire place ; le plus fort tend à étouffer le plus faible. »

Exceptions, direz-vous, cas extrêmes ! Sans doute, mais ces cas manifestent, grossi, un phénomène général. Certes, tous ceux qui, par une fausse extension du darwinisme à l’ordre social et moral, ne voient dans l’existence qu’une lutte, ne seront pas des