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citer que ce qu’on peut citer. Nous savons quelle sorte d’attrait pousse la romancière idéaliste dans les bras vigoureux de son docteur. Nous la voyons, pendant qu’elle a renvoyé en France le poète désolé avec charge de lui transmettre des nouvelles de ses enfans, faire ménage avec Pagello, au milieu des parens et des connaissances, de la sœur, du frère, des anciennes maîtresses, dans la vulgarité bruyante d’un intérieur de médiocre bourgeoisie italienne, et continuer parmi ce vacarme son labeur tranquille de copie sans ratures. Et celui que nous voyons le mieux, dont la figure se détache dans une lumière crue et dans un jour cruel, c’est Pagello, le « stupide » Pagello, le bellâtre à la large poitrine, au sourire de fatuité béate, fier de son habit neuf et de son nœud de cravate, mélange de sottise satisfaite et de prudence, jouant en personnage de vaudeville son rôle du plus heureux des trois, positif quand même et pratique et troublé dans sa bonne fortune par la crainte que son aventure avec « la Sand » ne lui nuise auprès de sa clientèle. On le dirige sur Paris, il arrive, il défait ses malles et en tire le portrait de sa mère ! Le ridicule de la situation éclate à tous les yeux, sauf aux siens. Les railleries des uns, l’impertinence, la froideur, les rebuffades des autres échouent devant son inconscience. On le pousse dehors : il gémit, mais il reste. Heureusement la peur le prend. Il flaire qu’il y a de la vendetta dans l’air et craint les coups. Il se décide à partir, non sans avoir réclamé le prix de vagues tableaux sur lesquels la George pourrait bien avoir fait des bénéfices. « Mes gages ! mes gages ! » crie Sganarelle. Je dirais que la vulgarité du comparse rejaillit sur les deux grands acteurs ; mais peut être au contraire ajoute-t-elle à la beauté de l’histoire, en nous faisant découvrir sous le mirage de la littérature et de la poésie une réalité plus misérable.

Il est aisé de concevoir quelle sorte d’intérêt ont pour la plupart des lecteurs ces révélations : il y a beaucoup de gens qui goûtent médiocrement la magie d’évocation des Lettres d’un voyageur et l’intensité d’émotion des Nuits, mais qui ne sont pas du tout incapables d’apprécier le piquant de certains commérages. D’autres, qu’on ne saurait soupçonner de cette basse curiosité, trouvent un plaisir de tristesse, une joie philosophique, à constater que les êtres qui nous sont supérieurs par l’esprit, n’en sont pas moins faits comme nous de chair et de boue. Nous avouons ne pouvoir nous placer à leur point de vue. Eh quoi ! ne le savons-nous pas que le génie lui-même ne dispense pas ses privilégiés d’avoir part à l’humaine misère ? Nous le savons trop, et loin d’en réclamer des preuves nouvelles et plus