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nymphes dansent, — par des nuits combien différentes, — au bruit des mêmes chansons.

Vérité relative, cette vérité documentaire est également inférieure. Elle est seulement ce que perçoit de la vérité, ce qu’en peut exprimer, par des moyens élémentaires, l’intelligence, la sensibilité d’êtres inférieurs aussi. La voix du chamelier ou du muezzin ne chante que ce que le ciel bleu dit au muezzin et le désert au chamelier. Elle traduit, cette voix, mais elle trahit ; et du désert et du ciel nous voulons et nous savons entendre bien plus. Homo additus naturæ. Il nous plaît qu’à la nature de là-bas s’ajoute l’homme d’ici, l’homme de partout, l’homme universel qu’est toujours et par définition le grand artiste, celui qui peut dire à ses frères ignorans et bornés, aux conducteurs de caravanes ou aux annonciateurs de la prière : Vous et les choses qui vous environnent, l’horizon de votre âme et celui de vos yeux, je comprends et j’exprime tout cela mieux que vous-mêmes. Vous n’êtes que des copistes, je suis un interprète, et en dehors, au-dessus de votre exactitude, moi seul j’atteins à la vérité.

Les plus grands musiciens de l’exotisme ont fait ainsi. Musiciens relativement nouveaux, car notre siècle a vu sur la musique les premiers reflets du soleil d’Orient. Les vieux maîtres en ont ignoré, peut-être dédaigné la lumière. Interprètes sublimes de la Bible ou de l’Evangile, ils n’en interprètent que l’esprit ; le décor les touche peu. On ne relèverait pas un trait de couleur locale dans les répons de Palestrina. Le Cantique des Cantiques de Schütz n’a point passé sur les vignes en fleurs du Carmel. Les oratorios de Bach et de Haendel n’ont rien de pittoresque, encore moins d’exotique. Dans la Création même, si descriptive qu’en soit la musique, Haydn ne s’est pas demandé si le paradis terrestre se trouvait en Autriche ou en Mésopotamie, et dans Eve, au lieu de la première Levantine, il a vu la première femme.

Chez Mozart, très peu d’Orient encore ; en tout cas, pas un paysage. Dans l’Enlèvement au Sérail, à peine un soupçon de langueur et de rêve en certaine romance exquise, de tonalité incertaine, qui peut-être annonce — discrètement et de très loin — toutes nos Orientales et toutes nos Captives. Quant à la délicieuse Marche turque, patrouille de sérail ou sauterie de carnaval, c’est une turquerie si l’on veut, mais bon enfant et pour rire, toute de convention et presque d’ironie, à la Molière, digne du jeune Turc de la fameuse galère et de la cérémonie du Bourgeois gentilhomme.

Vienne le Beethoven des Ruines d’Athènes, il corsera pour ainsi dire la Marche turque de Mozart. Il la fera plus énergique, retentissante