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d’accords et par momens grandiose. La turquerie s’élargit, s’élève, mais c’est la turquerie encore. Ce ne l’est plus dans l’admirable chœur des derviches, où brusquement apparaît, éclate la vérité de l’Orient, sa violence et jusqu’à sa fureur. Sans un élément local, sans un document authentique, par la seule intuition du génie, Beethoven est oriental ici comme Gluck avait été grec : plus que la nature elle-même, plus que le modèle inconnu, mais deviné. Je les ai vus tourner, entendus hurler, les moines étranges du Caire et de Stamboul. Et le vol circulaire de leurs robes, et les convulsions de leurs têtes échevelées et aboyantes, et leurs cris et la pauvre symphonie qui les accompagne, non seulement tout cela n’est pas aussi beau, mais cela de quelque manière est moins vrai que la ronde sauvage de Beethoven, que ce rauque unisson de hoquets et de râles, ces triolets en tourbillon et ces appoggiatures atroces. Une fois de plus ici le génie a passé, bondi par-dessus la réalité pour saisir la vérité elle-même.

Unique chez Beethoven, la note exotique a peu d’écho dans l’œuvre de ses contemporains et de ses successeurs. Elle sonne, elle tinte plutôt, mince et seulement amusante, en quelques pages de Weber les ouvertures d’Abu-Hassan et de Turandot, et la marche, l’inévitable marche des gardes du sérail d’Obéron. Elle est absente, cette note, de la musique de Mendelssohn, et le Paradis et la Péri de Schumann n’a d’oriental que le nom.

Vers le milieu du siècle, un des nôtres, Félicien David, nous rapporte, le premier peut-être, quelques soupirs du désert. Ils nous surprennent d’abord et nous ravissent. Mais Félicien David n’avait pas assez de talent pour son génie, et d’élémens aussi nouveaux, aussi précieux, le mélodieux voyageur ne sut pas composer le chef-d’œuvre d’un grand musicien.

C’est en grand musicien que Meyerbeer a créé l’un des chefs-d’œuvre de la musique exotique : le quatrième acte de l’Africaine, qui s’élève comme un îlot de lumière entre les opéras historiques du maître. Ici encore, pas de renseignemens, de documens, pas la moindre mélodie du pays. De quel pays d’ailleurs ? Nous ne savons même pas où nous sommes. L’Africaine pourrait aussi bien s’appeler l’Indienne, et l’étonnante leçon de géographie du second acte laisse toute latitude à l’imagination. La vérité de cette musique n’est pas celle que renversent trois degrés d’élévation du pôle et dont un méridien décide. Elle est vaste, et vraie au moins de tout un côté de la terre, le côté du soleil. Vérité d’abord largement pittoresque et descriptive. Pays merveilleux, chante Vasco, jardins fortunés, salut ! Est-ce l’Afrique,