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faites à ce sujet, dans lesquelles nous aurons d’autant plus à puiser, que nous n’avons la prétention d’y rien ajouter de bien nouveau. Notre seule ambition est de rassembler sur lui tous les détails qui se trouvent épars dans les nombreux écrits du temps, et de lui redonner par là quelque vie. Ces jeunes êtres prématurément ravis ont à la fois pour l’imagination et pour l’histoire un attrait d’une nature toute particulière. Leur figure apparaît devant nos yeux avec la grâce funèbre que sur les tombeaux l’art des anciens savait donner au génie de la mort.


I

Louis de France, Dauphin, fils de Louis XIV, avait épousé le 28 janvier 1680, à l’âge de dix-neuf ans, Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, qui avait un an de plus que lui. De cette union devaient naître trois enfans dont l’aîné fut le duc de Bourgogne.

Certains personnages historiques sont à la fois obscurs et connus. Tel est le cas de celui que l’étiquette de la Cour appelait Monseigneur, et que les Mémoires du temps désignent quelquefois aussi sous le nom de Grand Dauphin. Cet arrière-petit-fils d’Henri IV, cet élève de Bossuet et de Montausier ne se montra digne ni de son origine ni de son éducation. Ce n’est pas qu’il fût dépourvu d’intelligence ni de courage. De bonne heure il avait montré des qualités militaires. En 1688, il fit bien au siège de Philippsbourg. Les lettres qu’il écrivait du camp n’étaient point mal tournées ; les courtisans qui savaient joindre la flatterie à l’érudition, comme le président Bose, secrétaire du cabinet du Roi, en comparaient le style à celui des commentaires de César. Mais une paresse incurable, se joignant à une timidité excessive, devait peu à peu étouffer les dons que la nature lui avait départis, d’une main il est vrai assez parcimonieuse. La déférence et la docilité filiales allaient chez lui jusqu’à l’anéantissement de la personnalité. Avant que le Roi n’eût parlé, il ne savait ni vouloir ni penser, et après, il ne savait que vouloir et penser comme le Roi. Un trait le peint. Mademoiselle, sa tante, la Grande Mademoiselle, lui avait laissé personnellement le château de Choisy. Il vint visiter sa propriété nouvelle avec plusieurs courtisans, et comme ceux-ci lui disaient chacun leur avis sur ce qu’il y avait à faire, « il les fit taire (raconte Sourches) en leur disant fort sagement : Messieurs, il n’y a rien à faire jusqu’à ce que le Roi ait décidé ce