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qui lui plaira, et on n’y fera que ce qu’il jugera à propos[1]. »

Il n’avait qu’une passion : la chasse à courre. Tous les jours il courait le cerf ou le loup, et cela par les temps les plus chauds, ce qui fait l’étonnement des veneurs d’aujourd’hui. Comme il était gros mangeur, il n’en fut pas moins assez vite envahi par l’embonpoint, menant de plus en plus une vie épaisse et basse, jusqu’au jour où il mourut d’une mort qui serait demeurée aussi obscure que sa vie si Saint-Simon n’en avait laissé un immortel récit. Mais à l’époque de son mariage, il était encore un prince de bonne mine, montant fort bien à cheval et adroit aux exercices du corps. Le fils du plus grand roi du monde (c’est ainsi qu’au lendemain de la paix de Nimègue l’Europe entière appelait Louis XIV) était un singulièrement beau parti pour la fille d’un prince allemand, dont la fidélité à la France était ainsi glorieusement récompensée, et la personne du mari n’avait rien qui pût déplaire à la jeune princesse bavaroise.

Celle que les mémoires contemporains appellent souvent Mme la Dauphine Bavière ne vécut que dix années à la cour de Louis XIV. Elle devait mourir à trente ans. Ces dix années s’écoulèrent pour elle dans la pénombre. Son caractère mélancolique l’y prédisposait. La négligence et l’abandon de son mari achevèrent de l’y confiner. Cependant, s’il fallait en croire les journaux du temps, elle avait produit lors de son arrivée en France une impression plutôt favorable. Voici comme en parle le Mercure de France, dans son numéro de mars 1680: « Qu’on examine Mme la Dauphine dans les qualités du corps ou dans celles de l’esprit, on la trouvera toujours une des plus parfaites princesses qu’on ait jamais vues. Elle est demi-brune, a la taille fine, libre et dégagée, le visage long et plein à proportion, les cheveux châtains, et le front bien fait. On n’a jamais vu de plus beaux yeux. Ils sont doux, pleins de feu et marquent assez l’esprit extraordinaire de cette princesse. Son nez, quoiqu’un peu grand, n’a rien de désagréable. Elle a les dents blanches et bien rangées, la bouche assez belle, le tour du visage fort bien fait et la gorge bien taillée. Quelque avantageux portrait qu’on en puisse faire, on ne peut assez marquer combien son air est spirituel et français. Sa naissance se fait facilement connaître à son port. Elle l’a majestueux, mais, quoy qu’elle implique par là beaucoup de respect, il y a en

  1. Mémoires de Sourches, t. V, p. 187.