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du premier roi de Prusse: « Les habitans de l’Alsace sont plus Français que les Parisiens. »

Les manifestations de la joie publique se prolongèrent dans les plus petites villes du royaume comme dans les plus grandes pendant deux ou trois mois, et elles auraient duré plus longtemps encore « si les magistrats n’avaient employé une douce violence pour les arrêter. » Nous nous y sommes étendu peut-être un peu longuement, mais ces minuties du passé ne sont pas dénuées d’intérêt ni d’enseignement. Elles ouvrent, en effet, de certains jours sur les conditions de l’existence populaire au XVIIe siècle. Les fêtes inopinées auxquelles donnaient lieu les mariages et les naissances dans la famille royale venaient assez fréquemment éclairer d’un rayon joyeux la vie assez sombre du peuple, et peut-être le peuple d’alors y apportait-il plus de gaieté qu’il n’en apporte aujourd’hui aux fêtes officielles et périodiques. L’ancien régime a été bien diversement jugé, et rarement avec impartialité. Les uns veulent y voir à toute force un temps d’opprobre, de souffrance et de misère; les autres, par une réaction légitime en son principe et appuyée sur de savans travaux, tendent peut-être un peu trop à y chercher un idéal de félicité sociale qui paraît n’avoir été d’aucun temps. Mais, pour bien connaître la condition du peuple aux siècles passés, il ne suffit pas de savoir quels impôts il payait, ni quelle distance les lois ou les mœurs maintenaient entre ses fils et ceux de la noblesse ou de la bourgeoisie ; distance plus grande en droit, peut-être moins grande en fait que celle qui existe de nos jours entre l’ouvrier et le patron enrichi. Il faut savoir aussi de quelle vie morale il vivait, et de quel œil lui-même envisageait sa condition. Or, mettant à part les époques calamiteuses de guerre étrangère ou civile que notre siècle a également connues, il ne semble point qu’à ses propres yeux sa condition parût intolérable. S’il en eût été ainsi, il n’aurait point pris une part si grande à tous les événemens domestiques de cette famille royale dans laquelle s’incarnait la vie nationale. Il ne se serait point réjoui de ses joies, il n’aurait point pleuré de ses malheurs, comme il le devait faire à la naissance et à la mort de ce duc de Bourgogne qui nous occupe. Au point de vue purement matériel, il était assurément plus misérable que de nos jours, mais il n’avait pas le sentiment de sa misère, et il suffisait de bien peu de chose pour la lui faire oublier. Les jours où, depuis le Roi oubliant l’étiquette jusqu’au valet jetant ses habits dans le feu, tout le monde se sentait transporté d’une même