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rêves d’infidélité. Mais, à moins de supposer la folie — et les pires folies ne sont pas si longues — on ne conspire point sans causes pendant soixante-dix ou quatre-vingts ans : des causes à cet interminable état de malaise et de trouble, il est impossible qu’il n’y en ait pas ; il est certain qu’il y en a, et de plusieurs espèces ; il est probable qu’il y en a du chef des Cubains, comme du chef des Espagnols.

Pour ce qui est des Cubains, on en voit de géographiques, d’ethnographiques, de psychologiques, de politiques, d’économiques, d’historiques, sans mentionner ici une cause plus générale, qui pourtant agit à Cuba comme ailleurs et dont on ne saurait faire abstraction.

Causes géographiques : la colonie est à plusieurs jours de la métropole, et à cinq ou six heures seulement de la Floride, c’est-à-dire des États-Unis. — Outre qu’elle est, par sa fertilité et par son étendue, la reine des Antilles, par sa position elle ouvre ou ferme le golfe du Mexique, et nul n’y sera tout à fait chez soi, qui n’en tiendra pas cette clef. — Causes ethnographiques : la population de l’île est formée de couches superposées et mêlées. Sur 1 600 000 habitans environ qu’atteignent les recensemens officiels, on compte 500 000 à 600 000 noirs. Le reste va du noir au blanc, de dégradé en dégradé de ton, ou monte du blanc au noir toute la gamme des nuances : Espagnols purs, arrivant de la péninsule, mariés à de pures Espagnoles ; puis Espagnols mariés à des Cubaines ; étrangers : Anglais, Français, Allemands, Yankees ; Cubains fils d’un Espagnol et d’une Espagnole, et Cubains fils d’un Espagnol ou d’un étranger et d’une Cubaine ; puis Cubains fils de Cubain et de Cubaine ; croisemens d’Espagnols, d’étrangers ou de Cubains et de négresses ; enfin, purs nègres d’Afrique, pur bois d’ébène récemment importé, puisque, malgré les lois et les mesures contraires, l’esclavage s’est maintenu à Cuba jusqu’en ces derniers temps ; et par-dessus le marché des Asiatiques, des jaunes, coolies chinois, au nombre, selon certains auteurs, de près de 80 000[1].

Et toutes ces demi-teintes, tous ces quarts de teinte de la peau, on les retrouve dans les cerveaux ou dans les dînes. L’Espagnol pur s’est, de tout temps et en Espagne même, montré parfaitement ingouvernable : c’est le premier roi d’Espagne, Aragon et

  1. D. J.-B. Casas, la Guerra séparatiste de Cuba.