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avait si amèrement dénoncé les « illusions » de Martinez Campos. autorisait le retour de Maceo à Cuba. L’indulgence est hors de saison, quand, dans l’état de guerre sourde qui précède et qui suit l’état de guerre déclarée, elle peut être et quasi fatalement elle doit être interprétée comme de la faiblesse. Salamanca mourut à temps pour n’en pas souffrir ; mais le général Chinchilla, qui le remplaça, ne tarda pas à s’en apercevoir. Un jour, Maceo vint lui présenter des « abonarés », des billets, remis à certains de ses compagnons et lui en réclamer le paiement[1]. Comme le général élevait quelque difficulté, le cabecilla mulâtre le prit de si haut, s’emporta en de telles menaces, cria si fort qu’il avait 10 000 fantassins et 2 000 cavaliers prêts à se jeter dans la montagne, que le général, perdant patience, lui répondit : « Eh bien ! faites-le donc, j’en serai ravi ; parce que, moi, j’ai plaisir à me battre : vous me donnerez l’occasion de vous prendre et de vous fusiller ! » Des mots, ils allaient en venir aux mains quand on les sépara, en priant Maceo de se retirer.

Il n’en fut rien de plus : Maceo continua de présider des banquets, de prononcer des discours et de promener à travers l’île son uniforme de major général insurgé. Mais ses 12 000 hommes ne s’étant pas encore jetés dans la montagne, le général Chinchilla ne sévit point et continua de laisser faire. En 1890, Polavieja, retournant à la Havane, en qualité, cette fois, de gouverneur général, avant même d’avoir touché le rivage cubain, par arrêté signé à San Juan de Puerto Rico, expulsait de nouveau Maceo, Crombet et d’autres. Eut-on peur que la sévérité passât pour de la provocation ? Polavieja fut rappelé et l’audace des révolutionnaires ne connut plus de limites : la propagande séparatiste se fit publiquement : tout lui devint une chaire : elle eut ses journaux jusqu’en de toutes petites villes et ses sergens recruteurs jusqu’en des recoins ignorés.

Ce qui, sous les gouvernemens antérieurs, avait été sommeil devint léthargie ou catalepsie ; ce qui, sous le général Salamanca, avait été aveuglement, sous le général Calleja, homme de confiance du dernier ministère libéral, devint on ne sait quoi d’incroyable et d’innommable… « Voulez-vous que je vous dise, demandait M. Romero Robledo, à la Chambre des députés, le

  1. G. Reparaz, la Guerra de Cuba. Sur la manière dont Maceo se serait procuré ces « abonarés », M. Reparaz raconte une histoire assez peu édifiante, dont nous lui laisserons la responsabilité.