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zigzags, en crochets, cette guerre de pointes poussées et retirées, cette guerre lente et comme croupissante, qui use les hommes. Il est, ce que Maceo n’a jamais été, un calculateur ; et le plan qu’il suit est réellement un plan. Vaillant, d’ailleurs, et, si le calcul l’exige, téméraire, avec quelque chose de plus voulu, de plus conscient, de plus « cultivé » qu’en Macco ; d’une énergie qui ne redoute pas d’être comparée à celle de Weyler lui-même. « Quand je sus, racontait-il posément, en 1878, à l’aide de camp de Martinez Campos, que votre général relâchait les prisonniers, je donnai l’ordre à des troupes, sur qui je pouvais compter, de guetter ceux de mes partisans que je supposais tentés de se rendre, pour les mettre à mort, et de laisser leurs corps sur place. Puis je fis passer ma colonne par là, et je dis aux miens : « Voilà les douceurs que Martinez Campos réserve aux insurgés qui se rendent !… » Une autrefois, racontait-il encore, dans un campement, après avoir fait sonner le couvre-feu, il entendit que quelqu’un parlait. C’était un officier, il le réprimanda, et comme l’officier continuait, pour troisième avertissement, il lui tira un coup de revolver et le tua[1].

La guerre de Saint-Domingue, la guerre de dix ans, vingt-trois mois déjà de la présente guerre l’ont habitué aux privations : s’il est avide ou ambitieux, il peut n’en désirer que davantage prendre une revanche de 1878, Mais il est blanc et n’exerce pas sur les gens de couleur l’espèce de fascination qu’exerçait Maceo ; il n’est pas Cubain, et les Cubains le traitent toujours un peu en étranger ; quoique robuste et alerte encore, il a près de soixante-cinq ans (tandis que Macco n’en avait que cinquante-deux) ; et, quoiqu’il n’ait pu résister à l’envie de revoir, en révolutionnaire impénitent, la manigua et les manigueros, peut-être un jour le désir aussi lui reviendra-t-il de retourner à Saint-Domingue, demeurer dans une maison, et dans une maison où il n’y ait ni une cour ni un arbre. S’il s’en allait, Antonio Maceo mort, Calixto Garcia ne le remplacerait pas plus que l’ancien président de la république cubaine, Tómas Estrada Palma, ne peut remplacer ce José Marti, qui fut, à New-York, la tête de l’insurrection ; pas plus que Rius Rivera ne remplace Maceo. Ni Collazo (qui, paraît-il, est en fuite), ni Rabi, ni le Polonais Roloff, s’il est libre, ni le nègre Quintin Banderas, s’il est vivant, ne le remplaceraient.

  1. Eug.-Ant. Flores, la Guerra de Cuba, p. 80.