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fille malade mourut sans qu’on pût lui donner les soins qui peut-être l’auraient sauvée.

Philippe de Girard, le célèbre inventeur, admirateur et ami de Wronski, presque aussi pauvre que lui, lui présenta un commerçant de Nice nommé Arson, qui, se retirant des affaires avec une vingtaine de mille livres de rentes, non, comme on l’a dit, avec une grande fortune, avait un immense désir de s’instruire et la secrète ambition de devenir célèbre. Arson, petit-fils de M. Jourdain, ressemblait plus encore à Orgon. Wronski devint son maître de philosophie ; il rencontrait bien ; Wronski savait tout! Wronski rencontrait mieux encore, Arson admirait tout!

Lorsqu’il se présenta pour donner sa première leçon, les vêtemens de Wronski accusaient la plus affreuse misère. Arson lui donna cent francs, et trois cents autres francs à la fin de la semaine, pour lui permettre de s’habiller. Arson, inondé de joie, était transporté par Wronski dans un monde nouveau ; il sentait son esprit s’élever et grandir et ouvrait sa bourse avec reconnaissance. Wronski y puisait largement. Quelques affaires exigeant sa présence à Nice, Arson pria son maître d’accepter quelques billets payables de mois en mois, pour que de misérables préoccupations d’argent ne troublassent pas ses méditations.

Peu de temps après, Arson recevait de Wronski une lettre qui l’alarma fort. Wronski, averti par un coup de sang, redoutait une mort prochaine ; il mettait dans son ami sa seule espérance, et, en cas de malheur, le suppliait de continuer à son épouse chérie une partie des bienfaits dont il était l’objet.

Arson lui envoya, avec sa réponse, un crédit illimité chez ses correspondans de Paris.

Lors du retour d’ Arson, Wronski avait besoin de repos ; il continuait ses découvertes, les faisait imprimer aux frais d’Arson, mais n’avait plus le loisir de lui donner de leçons. Il consentait cependant à partager chaque soir le dîner de son élève, et daignait quelquefois lui parler de philosophie ; la reconnaissance d’Arson était sans bornes. Il autorisait son maître à faire imprimer à ses frais tout ce qui importait à l’avenir de l’humanité. Non seulement Wronski n’y mettait aucune réserve et publiait sans choisir ce qu’il écrivait sur tous les sujets, mais il commanda à un artiste habile le dessin d’un sphinx surmonté d’un zodiaque symbolique, envoya à Arson une note de six cents francs, et le sphinx, à partir de ce jour, figura en tête de tous ses écrits.