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les philosophes l’appellent, — nous savons qu’il rend les gens rouges ou blancs et par conséquent il doit être quelque chose lui-même, et peut-être qu’il est le plus vraiment poétique ou faisant de la force de tout, créant un monde de lui-même, d’un coup d’œil ou d’un soupir, et le manque de passion est peut-être la plus vraie mort ou défaiseuse de toutes les choses et même des pierres. »

Or ce pouvoir est celui d’un Artiste : nous ne pouvons nous y tromper. « Je puis positivement vous assurer que, dans mon pauvre domaine d’art imitatif, toutes les forces mécaniques ou gazeuses du monde, ni toutes les lois de l’univers ne vous rendront capables de voir une couleur ou de dessiner une ligne, sans cette force singulière, anciennement appelée âme. » Car le pouvoir du hasard est très grand, mais il n’est pas artistique, et si nous pouvons, à la rigueur, imaginer une horloge sans horloger, il nous est très difficile de considérer un tableau de maître et de nier de prime abord qu’il y ait un Maître. Les savans, eux, sont fort à leur aise devant ce problème : ils ne voient pas le tableau. Plus ils raisonnent sur le côté esthétique de la nature, plus ils démontrent par leurs raisonnemens mêmes qu’ils ne l’ont pas aperçu. Lorsqu’ils prétendent expliquer le Beau par l’Utile, « ils ne peuvent, dans leur extraordinaire orgueil, être comparés qu’à des vers de bois, fourvoyés dans le panneau d’un tableau fait par quelque grand peintre. Ils dégustent le bois en connaisseurs, mais arrivés à la couleur, ils lui trouvent mauvais goût, déclarant que même cette combinaison qu’ils n’ont pas cherchée ni désirée, est le résultat normal de l’action des forces moléculaires...» — Pour ceux qui ont regardé le tableau, pour ceux qui ont fait le bonheur de leur vie de ses teintes délicates, fines, harmonieuses et puissantes, qui l’ont aimé avec la passion de la jeunesse et ont cherché à en produire des imitations indignes, mais fidèles, qui ont souffert lorsque quelque chose est venu le ternir, et pleuré de joie lorsqu’il leur a été rendu dans sa pureté primitive, pour ceux-là le problème de la création n’est point si simple que de pouvoir être expliqué par des variations d’espèces — et tout n’est point dit depuis six mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent ! « Les relations esthétiques des espèces sont indépendantes de leurs origines, et c’est celles-là qui nous intéressent. Pour nous la fleur est la fin ou l’objet propre de la semence, non la semence l’objet de la fleur. La raison d’être des semences, c’est qu’il puisse y avoir des fleurs, non la raison