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I

Deux causes ont favorisé l’éclosion précoce des grands monopoles industriels aux Etats-Unis. C’est d’abord la fréquence et la gravité des crises de surproduction qu’ont déterminées en ce pays, à intervalles si rapprochés, le régime protecteur et l’abus de la spéculation. Ce sont, en outre, les excès d’un régime de concurrence aiguë où les guerres de prix engagées entre établissemens rivaux ne cessaient d’engendrer faillites et liquidations, fermetures d’usines, renvois d’ouvriers, et qui, au lieu de réduire lentement, régulièrement, le coût de production et le prix de vente dans les diverses branches de l’industrie, haussait ou abaissait par à-coups ces chiffres d’une façon factice et exagérée, au plus grand dommage du public comme à celui des industriels eux-mêmes. Il fallait remédier à ces abus, au gaspillage qui en résultait, à l’instabilité des affaires. A cet effet, un seul moyen : l’entente entre les compétiteurs, limitant la production, fixant les prix de vente. De tout temps, les Etats-Unis nous ont donné l’exemple de tentatives dirigées en ce sens : elles n’ont pleinement réussi qu’avec la création des trusts ou syndicats industriels, et en particulier avec l’organisation du monopole du pétrole en 1882.

Nous devons au lecteur français une explication de ce mot de trust, un vieux terme du vocabulaire juridique d’outre-Manche, sous lequel se cache l’une des institutions les plus anciennes du droit anglo-saxon. Rien n’est moins aisé à comprendre et à traduire que les formes fondamentales d’une loi civile par delà les frontières qui séparent deux races ; et, plus que tout autre le droit privé anglais, traditionnel et évolutif, avec son langage convenu que les seuls initiés possèdent ou prétendent posséder, répugne essentiellement à nos esprits latins. Le contrat de trust, dont on peut rapprocher le fidéicommis, est le contrat par lequel un testateur ou donateur transmet un bien à un tiers nommé trustee pour le compte d’un bénéficiaire ou cestui que trust, en chargeant le trustee de gérer en bon père de famille le bien placé sous sa garde et d’en faire remise en temps et lieu à qui de droit. Emprunté au droit prétorien de l’ancienne Rome, ce procédé spécial de transmission a été dès l’origine d’un emploi constant en Grande-Bretagne pour les substitutions héréditaires comme pour les donations ecclésiastiques tombant sous le coup des lois de mainmorte.