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d’une petite bande de terrain sur l’Oil creek, dans l’État de Pensylvanie, voyait de l’huile jaillir d’une source; le chimiste en renom de Hartford auquel il fit analyser le liquide, refusa d’y reconnaître un produit naturel, et ce n’est que le 28 août 1859 que s’ouvrit, à l’endroit même où Watson avait fait sa découverte, le premier puits d’huile minérale : l’Amérique en compte aujourd’hui 60 000. Tout de suite, follement, la spéculation se lança sur l’industrie du pétrole, que barnumiza le « colonel » Drake, et après la première conduite souterraine établie par Samuel van Syckel à Pit hole, après la première raffinerie construite par Charles Lockhart en 1860, le nombre des entreprises grandit sans mesure, la production s’accrut hors de tout rapport avec la consommation. C’est à John Rockefeller qu’échut le pouvoir d’enrayer la crise en régularisant le marché. Fort de la situation de premier ordre qu’il s’était faite dans l’industrie nouvelle, Rockefeller organisa de 1875 à 1882 avec ses affiliés, les grands raffineurs, ententes sur ententes, conventions sur conventions, et le 2 janvier 1882 constitua enfin le Standard oil trust dans sa forme actuelle. Au nombre de quatre-vingt-dix environ, les entreprises privées ou collectives de raffinerie de pétrole se fondent alors en quatre sociétés anonymes fonctionnant dans les États de Pensylvanie, d’Ohio, de New-York et de New-Jersey; les actions de ces sociétés sont déposées aux mains de neuf trustees élus qui émettent en échange, titre pour titre, 90 millions de certificats répartis entre plus de sept cents porteurs. Ces trustees, au premier rang desquels figurent John D. et William Rockefeller, possèdent à titre particulier une majorité des certificats; leur traitement annuel se monte à 25 000 dollars ; l’un d’eux est président de chacune des sociétés locales. Dès sa formation, le syndicat s’empresse de compléter le réseau des conduites souterraines qui joint aujourd’hui à la région de l’huile les Grands Lacs et l’Océan Atlantique, d’où une économie de 66 pour 100 sur les frais de transport; il achète ou ruine toute concurrence importante; il développe largement le marché de ses produits en Europe, et on l’a vu naguère conclure un arrangement avec son grand rival russe, son seul compétiteur, pour le partage des débouchés de ce côté de l’Atlantique. Le trust est aujourd’hui maître du marché. Les trustees sont maîtres du trust, et la confiance que leur accordent les intéressés est telle qu’en 1893, la restitution des actions aux porteurs des certificats ayant