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Voici du moins un fait certain : les syndicats, qui n’ont — ne nous y trompons pas — qu’un but immédiat en vue, c’est de gagner le plus d’argent possible, ont tous, à certaines heures, élevé sans raison le prix de leurs produits, ou abaissé arbitrairement celui de leurs matières premières, par simple abus de pouvoirs et pour majorer leur revenu net aux frais du public. Dix-huit mois après sa formation, le sugar trust était un instant parvenu à élever de moitié le prix du sucre raffiné; le syndicat du tabac réduisit dès son avènement le prix de la feuille dans une très forte proportion. Si scandaleux qu’ils soient, ces exemples d’oppression commerciale ne se sont du moins jamais montrés durables ni fréquens, les industriels ayant compris qu’il n’était pas de leur intérêt bien entendu de pousser trop loin l’exaction, de s’aliéner l’opinion, d’attirer la concurrence par des profits excessifs.

A voir l’influence des trusts sur les prix des denrées dans une période de temps plus étendue, on se persuade d’abord que les monopoles industriels n’ont pas pu complètement enrayer la baisse de la plupart des denrées de consommation générale. C’est ainsi que les cours du sucre raffiné ont fléchi aux États-Unis, depuis la constitution du syndicat, plus que proportionnellement à ceux du sucre brut; d’autre part, il est facile de s’assurer que les bénéfices du Whiskey trust ne sont pas aujourd’hui plus considérables que ne l’étaient les profits des associations qui l’ont précédé. Les seuls trusts à succès sont ceux qui ont fait bénéficier le public d’une partie des économies qu’ils réalisaient; et ceux qui, comme le syndicat de l’amidon, ont voulu maintenir longtemps leurs prix à des taux déraisonnables, ont toujours risqué la ruine à ce jeu dangereux. Maintenant l’on se demandera si la baisse des cours a été, somme toute, aussi grande qu’elle eût dû l’être, si les avantages du régime de l’association n’ont pas profité plus que de raison aux seuls syndicats, et s’il n’eût pas été équitable que la communauté y participât dans une proportion plus large. A la question posée dans ces termes, la réponse n’est pas douteuse. Mais il faut dire que le mal est ici purement temporaire, moins grave que celui qu’engendrent les excès terribles du régime de la concurrence aiguë, et l’on doit bien se persuader aussi qu’en matière économique comme en matière sociale, les évolutions les plus profitables à la masse du pays ne laissent pas, en anéantissant les forces opposées, de léser un certain nombre d’intérêts individuels : c’est le prix du progrès.