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s’appuyant sur des documens officiels, chargé par M. Cambon d’accompagner une religieuse, lui a tenu ce langage : « Ah ! ma sœur, on coupe bien là-bas dans l’intérieur, en Anatolie. — Et que coupe-t-on là-bas ? — Des têtes de chrétiens. Je voudrais y être et en couper aussi. » Le même jour, l’ambassadeur d’Autriche apprenait à son collègue de France que ses propres cawas tenaient identiquement les mêmes propos dans le vestibule de son palais.


VII

Cet état des esprits, que les générations, en se succédant, se transmettent invariablement, en se léguant le même fanatisme et la même ignorance, les deux causes principales de l’impéritie traditionnelle de la société musulmane en Orient, cet étal, disons-nous, est un obstacle insurmontable au maintien de la paix intérieure, à l’établissement d’un ordre régulier propre à conduire au rapprochement des races, si ce n’est à leur fusion. Il en est un autre non moins funeste : l’insuffisance et la vénalité des fonctionnaires de tout rang ; nous devrions dire de la plupart, car il en existe, et nous en avons connu, malheureusement en petit nombre, qui constituaient d’honorables exceptions. Quiconque a séjourné en Turquie a été témoin des excès de la concussion. Un pacha, un bey est-il appelé à représenter la Porte en province, il arrive à son poste avec une préoccupation unique, celle d’en revenir grassement pourvu. Il ne se borne pas à rançonner ses administrés autour de lui ; il met aux enchères les places qui, loin de sa résidence, relèvent cependant de son administration : et les agens qu’il investit ainsi d’une fraction de son autorité, en font, à leur tour, la cession par le même procédé ; de telle sorte que, du haut en bas de l’échelle, le contribuable est, à tous les niveaux, l’objet d’une rapace et constante oppression qui l’épuisé et l’irrite. Autrefois ces marchandages ignominieux se pratiquaient ouvertement dans la capitale même de l’empire, et de là ils se répercutaient dans les chefs-lieux des provinces et jusqu’aux plus infimes districts. Depuis que les ambassadeurs ont acquis un droit de contrôle, depuis qu’ils exercent une sorte de surveillance sur les actes des hauts dignitaires de la Porte, leur présence a mis fin, dans une certaine mesure, aux abus les plus crians ; mais la vénalité, née de l’arbitraire et