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divin. Dans les images qu’il a consacrées à la Vision de Zacharie, à l’Annonciation, à la Vision de Joseph, à la Nativité, à l’Annonce aux bergers, à l’Adoration des Mages, à la Tentation, à la Résurrection de Lazare et à la Transfiguration, force lui a été de se départir de son réalisme. Ses anges ont beau avoir quatre ailes, suivant la tradition primitive : ce sont des êtres de rêve, et dont ni l’observation ni le raisonnement n’ont pu lui fournir les modèles. Sa Vierge, aussi, est plus qu’une femme. La lumière qui jaillit du tombeau de son Lazare le mettrait en défaut « aux yeux du chimiste et du physicien ». Et l’on dirait même que, dans ces scènes surnaturelles, il n’y a pas jusqu’au décor qu’il n’ait cru devoir embellir. Il a senti, sans doute, que la présence d’un Dieu suffisait pour transfigurer les lieux qui en étaient honorés. Il s’est dit que la chambre où Jésus avait été conçu, la grotte où il avait été tenté, le caveau où il avait ressuscité Lazare, ne pouvaient, de ce fait même, ressembler à une chambre, à une grotte, à un caveau ordinaires. Il a oublié ses principes d’exactitude historique, pour ne plus songer qu’à la vérité éternelle.

Or c’est précisément ce que se sont dit et ce qu’ont fait avant lui, dans la peinture de ces scènes, divines entre toutes, les vieux peintres qu’il accuse d’avoir « faussé nos idées » : et nous voici ramenés, après tant de détours, à examiner de nouveau son grief contre eux. Ils n’ont point pris garde, cela est trop certain, à telles vraisemblances extérieures, dont il leur eût été facile de tenir plus de compte. Rien ne les empêchait de donner à leurs personnages des figures de Juifs, rien ne les forçait à vêtir la Vierge comme une princesse, à transformer en palais italien son humble maison de Nazareth, ni à la figurer présentant son fils devant le maître-autel d’une cathédrale gothique. Sur tous ces points, M. Tissot nous renseigne infiniment mieux; et lors même qu’il idéalise le décor de ses scènes, il leur laisse du moins un fort cachet local. La chambre où il nous montre Marie recevant le salut de l’ange, pour luxueuse qu’elle soit, est bien la chambre d’une maison galiléenne, et ce n’est point agenouillée devant un prie-Dieu, mais assise sur des tapis, à la manière des femmes arabes, que l’élue du Seigneur y écoute pieusement l’annonce sacrée. La Nativité, telle qu’il nous la fait voir, s’accomplit dans la grotte même où, suivant la tradition, elle a eu lieu en effet. Peut-être l’enfant divin y est-il trop petit : mais c’est un nouveau-né, et non pas un enfant déjà souriant et agile, comme dans la