Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un sacrifice que je ne peux te faire. — Erhart, songe à ta mission, dit Gunhild, et reste avec moi. » Il répond sans ambages : « Mère, ça sent le renfermé ici… Je n’y tiens plus ! Je suis jeune, mère, il ne faut pas l’oublier. — Erhart, dit à son tour Borkman, veux-tu être avec moi et m’aider à refaire mon existence ? » Et le gars répond : « Je suis jeune, je ne veux pas travailler, je veux vivre, vivre, vivre ! vivre ma propre vie ! »

Et nous apprenons aussitôt comment il entend la vivre. Il ouvre la porte, et Mme Wilton paraît. Cette dame dit tranquillement : « Nous nous en allons très loin, Erhart et moi, pour être heureux. Notre traîneau nous attend à la porte. — J’aurais préféré, dit Erhart à sa mère, partir sans te dire adieu. Les malles étaient faites. Tout était arrangé. Mais on est venu me chercher, et alors… » Mme Wilton ajoute : « J’emmène avec nous la petite Frida Foldal. parce que je veux lui faire apprendre la musique. » Là-dessus les deux amoureux disent adieu à la compagnie et s’en vont. La bonne Ella dit : « Puisque ce garçon veut vivre sa vie, qu’il la vive ! » La farouche Gunhild murmure : « Je n’ai plus de fils ! » Et Borkman, un peu plus fou qu’auparavant, se précipite dehors en criant : « En avant donc ! Seul dans la tourmente ! »

Et tout cela peut vous sembler bizarre à force de simplicité. Mais tout cela encore est limpide, assurément…

… Et voici dehors, la nuit, marchant dans la neige, Borkman avec Ella. Il lui dit : « Je dois d’abord aller visiter mes trésors cachés. » En chemin, ils rencontrent le vieux Foldal, qui boitille. Le bonhomme a été renversé par le traîneau de Mme Wilton : mais il est heureux parce qu’il a reçu de Frida une lettre d’adieux, où elle lui disait que la belle dame l’emmenait avec elle pour lui faire apprendre la musique. Pourtant il voudrait bien revoir sa fille avant son départ. « Ta fille est déjà loin, lui dit Borkman, elle était dans le traîneau qui t’a passé sur la jambe. » Et Foldal, de plus en plus ravi : « Quand je pense que c’est ma petite Frida qu’on mène dans cette belle voiture ! »

Après quoi, par un sentier tortueux, Borkman emmène Ella vers un banc où ils avaient coutume de s’asseoir tous deux autrefois, et d’où l’on domine tout le pays. Il recommence ses divagations du deuxième acte sur les millions captifs dans la terre, dans la mer, dans les forêts, et qui attendent de lui la délivrance. Et, comme au deuxième acte, Ella lui répète : « Tu as tué la vie d’amour dans la femme qui t’aimait et que tu aimais aussi. Et c’est pourquoi tu ne toucheras jamais le prix du meurtre. Jamais tu n’entreras en triomphateur dans