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Ce qui ferait douter encore du sérieux de M. Brandes, c’est que, après nous avoir dit : « Je vous défends de comprendre les personnages d’Ibsen », il ajoute : « Oh ! ce n’est pas qu’il soit obscur le moins du monde. C’est un homme qui dit bonnement les choses. Son prétendu symbolisme n’a jamais existé que dans l’esprit fumeux des gens du pays de France. » — Eh bien, si c’est vrai, c’est dommage. Nous avions tant de bonne volonté, si sincère, si éperdue ! Je me suis donné tant de mal pour élucider le canard et le grenier du Canard sauvage, la femme aux rats du Petit Eyolf, l’étranger de la Dame de la Mer, la tour de Solness le constructeur. Quelle déception d’apprendre qu’il n’y avait rien à expliquer, que la femme aux rats n’est en effet qu’une femme qui noie les rats, que la tour de Solness n’est qu’une bâtisse, que l’étranger n’est qu’un brave capitaine au long cours, que ce canard et ce grenier sont tout naïvement un grenier et un canard !

Seulement que M. Brandes prenne garde! Si ce canard, cette tueuse de rats, ce capitaine et cette tour ne signifient pas quelque chose de plus que leur apparence extérieure, ils ne signifient donc rien du tout ; et c’est encore plus embarrassant. Et puis, voyez-vous, ces symboles nous amusaient. C’est eux qui ont fait chez nous la réputation de M. Ibsen. Si on nous les ôte, ils lui manqueront bien. Et qui sait si l’insignifiance de Jean-Gabriel Borkman, ne vient pas de ce que l’appareil symbolique s’y réduit à deux métaphores : « les esprits dormans de l’or » et le a froid » qui tue Borkman et qui figure « le froid du cœur » ?

Et voici une autre plaisanterie de M. Brandes. De ce qu’un jeune écrivain de la Suisse romande a traduit tout de travers et même, je l’avoue, dans un incompréhensible galimatias, une petite poésie de M. Ibsen (mais ce jeune homme n’a fait, paraît-il, que traduire une traduction allemande), M. Brandes conclut : « Ce n’est pas étonnant qu’en France on trouve quelquefois Ibsen fort obscur. » Je ne pense pas qu’aucun de mes sophismes, volontaires ou non, égale jamais celui-là; et je le livre, sans commentaire, au zélé M. Prozor.

Troisième badinage danois. M. Brandes nous raille d’avoir cru retrouver dans le théâtre de M. Ibsen quelques-unes des principales idées de nos romantiques et de George Sand en particulier, et, par surcroît, de Dumas fils... « fl est clair, dit-il ironiquement, que vous les y découvrirez en cherchant bien, n’faut bien qu’Ibsen soit quelque part. Cherchez et vous trouverez. » Je réponds : — Mais certainement nous avons trouvé! Ibsen est bel et bien dans nos romantiques, comme « Alfred de Musset est dans Byron » (ai-je dit le contraire?), comme