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bury avait-il voulu, par l’extrême modération de ses paroles, calmer les appréhensions que certaines puissances avaient ressenties en l’entendant parler de mesures coercitives ; mais après avoir exagéré dans un sens, n’exagérait-il pas un peu dans l’autre ?

Venons-en aux réponses faites par les diverses puissances à la circulaire du 20 octobre. Dans son discours au Guildhall, lord Salisbury disait déjà, en termes explicites, qu’il comptait sur la Triple Alliance, avec laquelle il avait toujours été d’accord dans les affaires d’Orient. Depuis, les journaux anglais n’ont pas cessé d’affirmer que l’entente avec la Triple Alliance était formelle, absolue, sans réserves ni restrictions. Cela est-il parfaitement exact ? En ce qui concerne l’Autriche-Hongrie, oui, sans doute : on a vu que lord Salisbury, avant d’écrire sa circulaire aux puissances, s’était mis d’accord avec le comte Goluchowski, et la réponse de celui-ci a été ce qu’elle devait être, c’est-à-dire pleine d’effusion. En ce qui concerne l’Italie, oui, encore : l’Italie, bien qu’elle soit devenue beaucoup plus prudente que par le passé, et qu’elle ait un peu modéré l’ardeur fiévreuse avec laquelle elle s’intéresse aux affaires d’Orient, l’Italie a pris l’habitude de marcher avec l’Angleterre. Mais la réponse de l’Allemagne n’a pas été tout à fait la même, et c’est à quoi les journaux anglais se sont obstinés à fermer les yeux. Depuis l’ouverture de la crise orientale, l’Allemagne a toujours paru s’inspirer du vieux mot du prince de Bismarck ; que toutes les affaires d’Orient ne valaient pas pour elle la solide charpente d’un soldat poméranien. Ce n’est pas à dire qu’elle ne soit pas toujours prête à donner son adhésion aux propositions des autres puissances, mais on voit, on sent qu’elle ne la donne que du bout des lèvres et que le cœur n’y est pas. Pourquoi la refuserait-elle ? Il est toujours entendu, dans son for intérieur, que cette adhésion ne l’engage pas à grand’chose, car elle n’entretient pas de forces maritimes considérables dans la Méditerranée. Dès lors, il lui importe assez peu que les autres forcent les Dardanelles ou fassent le blocus de la Crète ; le cas échéant, elle les regarderait faire. Cette attitude, dont elle semble décidée à ne pas sortir, la rend facilement, mais banalement obligeante envers les propositions de ses alliées. Il y a d’ailleurs tant de chances pour que ces propositions n’aboutissent pas ! Dans le nombre déjà considérable de celles qui ont été faites, pas une seule n’est encore arrivée à terme. Pourquoi se tourmenter d’avance et prévoir les difficultés de si loin ? L’Allemagne a donc une tendance à ne pas faire des objections qui lui paraissent probablement inutiles, certainement prématurées, et à accepter en principe tout ce qu’on veut. Pourtant,