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n’excède-t-elle pas leur autorité ? Peuvent-ils la remplir sans provoquer de nouveaux et de plus graves désordres ? S’ils sont sincères dans les assurances dont ils sont tout à coup si prodigues, ils parviendront peut-être à remanier les institutions. Mais réussiront-ils à dominer les passions, à réconcilier des races hostiles, séparées par leurs croyances, imbues de préjugés séculaires, à réunir ceux qui ont vécu d’une diminution abusive et ceux qui en ont souffert, les maîtres et les esclaves, dans une parfaite égalité devant la loi commune, se respectant les uns les autres en subissant les mêmes charges et jouissant des mêmes droits ? Pour inaugurer une telle évolution dans un état social déjà fort ancien, il ne suffit pas de reprendre en sous-œuvre la législation tout entière, il faut en outre réformer les mœurs de tout un peuple, de plusieurs peuples, devrions-nous dire. Or les mœurs sont, partout, réfractaires à une action immédiate ; elles ne peuvent être redressées qu’avec le concours du temps. L’histoire abonde en exemples démontrant qu’il a fallu de longs et de persévérans efforts pour modifier l’esprit public et déraciner les habitudes et les traditions que des générations successives se sont invariablement transmises.

Comment prétendre que les choses peuvent se passer autrement en Turquie, dans un pays troublé depuis si longtemps par des discussions intestines, nées de la différence des races et des religions ? Peut-on espérer que l’on domptera rapidement, et sans de plus sanglantes commotions, l’esprit de violence des uns, l’esprit de révolte des autres, quand, aux quatre coins de l’empire, en Macédoine et en Crète, en Arménie et dans l’Anti-Liban, des désordres éclatent avec plus ou moins d’intensité, ici pour anéantir des races méprisées, là pour secouer le joug de la Porte ? Ne faudrait-il pas, pour inaugurer cette ère nouvelle, de puissans moyens d’action ? Or nous avons vu que le gouvernement ottoman est dépourvu des élémens qui lui seraient indispensables pour se remettre lui-même sur un pied de régénération ; que ses agens, dénués pour la plupart d’aptitudes professionnelles, se dérobent à ses ordres et se montrent généralement les plus implacables adversaires de toute mesure réparatrice ; que ses finances sont obérées, son crédit épuisé, que l’anarchie règne à tous les degrés de l’échelle sociale. Sous la pression de la diplomatie et aussi pour mettre fin à un état révolutionnaire, devenu fort inquiétant, la Porte a pris certaines mesures pour restaurer