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Oh ! douceur infinie d’un état d’esprit qui ne vous mettait pas seulement au rang des candidats aux faveurs du gouvernement, qui vous classait d’emblée parmi les disciples de la philosophie si bien portée de Comte ou de Renan ! Oh ! l’agrément incomparable, pour un jouvenceau à peine en rupture de collège, de se poser en homme d’Etat, d’écarter dédaigneusement du geste tous ces oripeaux vieillis de principes et de dogmes, de professer majestueusement la grande doctrine du positivisme politique, de s’emplir la bouche des grands mots de résultats, d’évolution, de progrès sériés et, tout en jouant ainsi, pour la plus grande admiration de la galerie, au petit Machiavel ou au Pitt ressuscité, de faire tranquillement son chemin et de prouver victorieusement, en sa personne, les bienfaits de l’opportunisme ! Combien n’en a-t-on pas vu que l’éclat de leurs talens précoces ne désignait peut-être pas pour parcourir à pas de géans la carrière des honneurs et qui, dans les fonctions administratives, judiciaires, diplomatiques, ou au Parlement, ont en quelques bonds franchi toutes les étapes et atteint, bien avant l’âge mûr, ces sommets où jadis, après avoir blanchi sous le harnois, parvenaient seuls quelques vétérans ! Certes qui vous eût dit, braves gens, têtes chaudes, idéalistes impénitens, qui combattiez autrefois l’Empire et aspiriez à la République comme au millenium, que vos efforts, vos sacrifices, le don de vous-même, tout cela avait pour objet et aurait pour résultat l’avènement au pouvoir de cette surprenante génération, vous eussiez obstinément refusé de le croire ! Et pourtant c’est bien par l’infiltration graduelle de ce réalisme égoïste et terre à terre que l’opportunisme s’est peu à peu transformé, et que, du parti énergique et sage de Gambetta, il est devenu ce je ne sais quoi qui n’a point de nom dans la langue des hommes et qui a livré au radicalisme tous les avantages de la concentration.

Car c’est bien au radicalisme qu’en fait est revenue la suprématie dans cette coalition. Le radicalisme : que ce mot n’aille pas éveiller de fausses idées dans l’esprit du lecteur. De tout temps — et heureusement ! — il y a eu des radicaux. Il y a eu des hommes plus épris de l’idéal que pénétrés des nécessités de la pratique ou des limites du contingent. Il y a eu de généreux imprudens prêts à tout risquer pour brûler une étape; des esprits absolus incapables de comprendre et d’admettre les accommodemens et les approximations du relatif; des dogmatiques résolus à imposer la