Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité, — leur vérité, — comme elle s’impose à eux, et à briser des résistances, à leurs yeux, de mauvaise foi; des révolutionnaires qui procèdent par la force et appellent tout délai trahison. Ces hommes sont le fléau et l’honneur de leur cause, l’âme et la perte de leur parti, le rebut et le sel de la terre, les apôtres de l’enthousiasme et les esclaves du fanatisme, les victimes désignées du ridicule et les martyrs du progrès. On les raille et on s’incline devant eux; on les maudit et on les adore. La France, Dieu merci, n’a point ignoré tout à fait cette espèce d’hommes : ils lui ont fait beaucoup de mal; ils lui ont fait beaucoup de bien. Ce n’est point d’eux qu’il est question quand on parle de nos modernes radicaux.

Le genre en est nouveau. Cet opportunisme, qu’ils s’étaient donné pour mission ici-bas de combattre, il les a pénétrés jusque dans la moelle de leurs os. Opportunistes, ils le sont dans l’âme; mais ce sont des opportunistes honteux, des opportunistes qui n’avouent pas. et qui s’efforcent de cacher leur secret sous la véhémence des protestations et la fureur des attaques. Leur méthode est simple. Le fin des fins, qu’ils ont su attraper, c’est, tout en comptant bien que la date de l’échéance ne viendra pas à maturité, de souscrire au public force lettres de change sur l’avenir. A la vérité, rien ne serait plus funeste pour ces fanfarons de réformes que d’être pris au mot; leur gagne-pain s’en trouverait aboli. Voilà un groupe qui passe sa vie, après avoir outragé et renversé Gambetta, à outrager et à renverser quiconque, parmi ses successeurs, fait le moins du monde figure d’homme d’Etat ou de gouvernement. Censeur austère des moindres contacts entre la droite et les modérés, il noue, non pas une, non pas deux, non pas cinq, non pas dix, mais vingt ou trente fois d’immorales alliances avec les pires ennemis de la République, afin de jeter bas des ministères républicains. Il a sans cesse l’excommunication à la bouche et à la main les armes les plus perfides. Et cependant, ce même groupe ne cesse de jouir des ménagemens, c’est trop peu dire, des prévenances de la majorité républicaine, des faveurs du pouvoir, d’une part absolument disproportionnée dans la répartition des emplois. Ainsi s’est trouvé résolu, pour le plus grand bien de quelques politiciens, le problème en apparence et longtemps insoluble d’unir les avantages de l’intransigeance à ceux du ministérialisme, de siéger tout à la fois au sommet de la montagne pour y promulguer, au milieu de la