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foudre et des éclairs, le décalogue du radicalisme, et dans les bas-fonds de la plaine ou du marais, pour y encaisser, dans une discrète pénombre, les menus profits de l’officialisme. Admirable position, et en effet vraiment digne d’envie que celle d’un homme qui déjeune d’un réquisitoire contre le ministère et dîne d’une faveur du ministre !

Aussi a-t-on vu naître, croître, se multiplier une génération de néo-radicaux qui forme le digne pendant des épigones opportunistes. Petits jeunes gens, que leur âge a mis à l’abri des épreuves, des combats, des sacrifices de jadis, entrés en maîtres dans l’héritage conquis par d’autres, ils ont pris la peine de récolter ce que d’autres avaient semé. Ils ont le verbe haut. Ils n’ont pas fait, comme les sectaires ou les enfermés d’autrefois, un pacte avec la mauvaise fortune. Au contraire : leur farouche intransigeance semble leur donner des ailes. Ils vont vite, très vite, oh ! combien plus vite que les naïfs retardataires dont les opinions doivent se mettre en règle avec leur conscience. A peine éligibles, quelque circonscription bien populaire se hâte d’envoyer à la Chambre ces jeunes rejetons de la bourgeoisie cossue. Et là, lestes, pimpans. se piquant de bon ton et d’élégance, talons rouges de la révolution rouge, aimables flâneurs de couloirs et de coulisses, ils ne cessent un instant de railler sans pitié, en petit comité, le puritanisme suranné des vieux républicains que pour aller flétrir sans vergogne, à la tribune, la lâche trahison de ces vétérans. C’est Cléon aboyant dans les jambes à Périclès : mais Cléon le corroyeur s’est décrassé ; il a pris à Alcibiade quelque chose de ses grâces insolentes et Périclès, au lieu de le combattre et de l’écraser, le comble de faveurs et l’associe au pouvoir !


IV

On devine sans peine ce que peut devenir, dans un désordre si général, la pratique infiniment délicate de la méthode de gouvernement à la fois la plus haute et la plus difficile que les hommes aient jamais inventée. C’est du régime parlementaire que je veux parler. J’ignore si ce noble gouvernement, où il me semble bien voir la forme idéale de l’activité politique d’une humanité maîtresse d’elle-même et digne de fixer ses destinées, constitue une dérogation assez forte aux lois de l’évolution naturelle