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aujourd’hui les Travaux publics, le jour d’après les Affaires étrangères, pour passer ensuite aux Finances ou à la Guerre, et, d’un vote qui renversait le gouvernement dont il faisait partie, se relever président du conseil. Qu’est devenue dans tout cela la solidarité ministérielle? Avec les savans dosages qui président à la formation de nos gouvernemens successifs tel figurait comme matière colorante dans le cabinet de janvier qui figure comme élément incolore dans le cabinet de septembre. Il semble que, dans ces incessantes mutations, il y ait des « immeubles par destination », des politiciens-pivots autour desquels tout tourne et qui restent seuls en place, changeant d’aspect et de valeur, suivant que le rayon lumineux qui tombe sur eux part de droite ou de gauche. D’où cette conséquence paradoxale, mais inéluctable : nos cabinets ne possèdent aucune solidarité d’action à un moment donné, mais déploient, dans la suite des temps, une incroyable continuité de routine. Des ministres dont l’existence ministérielle ne commence ou ne finit pas en même temps, dont quelques-uns représentent dans le gouvernement du jour celui de la veille ou y préparent celui du lendemain, ne sauraient atteindre cette unité de vues et de conduite qui est la condition sine qua non du régime parlementaire.

Ainsi disparaît la solidarité qui n’est plus qu’un vain mot : et du même coup s’en va aussi la responsabilité. Nul n’ignore que la responsabilité pénale, sauf des cas exceptionnels comme celui de l’infortuné Baïhaut, n’est qu’une formule vide de sens. La vraie responsabilité, celle que l’histoire atteste, c’est la cessation de l’existence collective d’un ministère, — pourvu que les individus soient frappés en même temps que la collectivité. Or chaque ministre espère que, si la responsabilité individuelle de ses collègues est mise en jeu, il échappera à la sienne ; qu’il touchera le port s’il a su « débarquer » à temps les associés qui l’embarrassent; et qu’il sortira sans dommage de l’épreuve où ils ont succombé. Mais où manquent responsabilité, solidarité, majorité, peut-on dire que le régime parlementaire existe? et s’il n’existe pas, est-ce bien lui qu’il nous faut accuser?


V

Voilà donc en raccourci le bilan de la concentration. La France en a-t-elle assez? On a pu le croire. Au commencement de cette